Il arrive parfois que Nasreddin reçoive ses disciples dans sa maison. Mais le problème, c’est que chaque fois, ils s’incrustent pour le dîner. Ils restent assis autour de la table, et Nasreddin est obligé de les inviter. Ce soir là, ils attendent le repas. Nasreddin va dans la cuisine, arrive avec une grosse marmite, la pose, soulève le couvercle… et à leur grande déception, la marmite est vide. Ils sont très surpris. — Mais… Nasreddin ? — Oh je suis vraiment désolé. Si elle avait été pleine, j’aurais partagé !

Il faut parfois mettre les pieds dans le plat pour se faire entendre. Offrir une marmite vide est une bonne manière de se débarrasser de profiteurs.

Cela fait plusieurs jours que Nasreddin est sur la place du marché et qu’il vend des boulettes de viande. A côté de lui, on peut lire sur une pancarte : « En achetant ces boulettes, vous financez mon projet ». Seulement, elles sentent tellement mauvais que plus personne ne vient sur le marché et les marchands s’inquiètent. — Il faut absolument que Nasreddin arrête de fabriquer ses boulettes ! Alors ils se réunissent et décident de faire une collecte. L’un d’entre eux prend l’argent et va vers lui. — Nasreddin ! Voilà ! C’est pour ton projet. Qu’est-ce que tu vas faire ? — Oh ! Merci ! Grâce à vous, je vais pouvoir acheter un emplacement sur le marché où je vendrai mes boulettes !

Un moyen détourné pour arriver à ses fins n’est pas toujours le meilleur chemin. Si tu as quelque chose à dire, mieux vaut t’en ouvrir directement.

Nasreddin est à l’arrière de sa maison en train de brosser son âne, lorsqu’on frappe à la porte. Il râle : — Ooh ! Mais qui est-ce qui me dérange encore ! C’est un voisin. — Nasreddin, est-ce que tu pourrais me prêter ton âne ? Juste pour l’après-midi. — Ah je suis désolé, je l’ai déjà prêté. A ce moment-là, l’âne se met à braire. — Mais Nasreddin, je viens d’entendre ton âne ! Tu m’as menti ! — Ah !elle est bonne celle-là ! répond Nasreddin. Tu crois plus en la parole de mon âne qu’en la mienne ? Tu ne mérites pas mon amitié !

Si ton ami t’a menti, tu as raison de croire en la parole de son âne !

La ville de Nasreddin traverse une grande sécheresse. Il ne pleut plus depuis plusieurs semaines. On n’a plus d’eau !… Alors, en désespoir de cause, on va voir Nasreddin au cas où il saurait faire revenir la pluie. Nasreddin leur répond, sûr de lui : — Oui, suivez-moi ! Il les emmène derrière sa maison, et là, leur demande une bassine d’eau. — Mais enfin Nasreddin ! On n'en a plus ! — Vous voulez que je fasse revenir la pluie ou pas ? Alors on lui donne la dernière eau. Et sous les yeux effarés de tous, on le voit prendre une vieille chemise, la plonger dans cette eau, et se mettre à la laver. — Mais qu’est-ce que tu fais Nasreddin ? Ce n’est pas possible ! On n’a plus d’eau maintenant, Nasreddin ! Qu’est-ce que tu fais ? — Vous allez-vous calmer, oui ? Nasreddin essore la chemise et se dirige vers la corde à linge. Il l’accroche… et à ce moment-là, le ciel s’obscurcit, le tonnerre retentit et la pluie se met à tomber. — Oh ! Bénédiction ! Il pleut ! Bravo Nasreddin ! C’est merveilleux ! Mais comment as-tu fait ? — Chaque fois que j’étends mon linge, il pleut !

A force de se persuader d’une chose, on finit par la faire exister. En toutes circonstances, rester positif est le meilleur moyen de faire surgir la solution.

Nasreddin est tout content, il est invité à une fête. Et pour l’occasion, il s’est bien habillé. Sa robe, son manteau… et là, il cherche sa bague. — Mais où est-ce que je l’ai mise ? Il a beau chercher partout, il ne la trouve pas. Le voilà à quatre pattes pour regarder sous son lit. Mais elle n’y est pas. Alors il se redresse et il s’adresse à Dieu. — Je te promets que si tu m’aides à la retrouver, je donne vingt aktchés pour l’entretien de la mosquée. Il se lève, et ses yeux se posent sur sa bague, enroulée dans la couverture. — Tu as vu, hein ? Je l’ai retrouvée tout seul !

Formule bien tes promesses, car tu devras marcher sans regret dans ta parole.

Nasreddin est assis à l’ombre sur son banc devant sa maison. Il déguste son halva, sa suprême gourmandise ! Mais voilà que passe un voisin. — Bonjour, Nasreddin ! Et Nasreddin lui répond : — Non ! — Mais ! Nasreddin, je te dis bonjour, tu pourrais me répondre bonjour ! — Écoute, je t’aurais répondu bonjour, tu m’aurais dit : « Comment ça va ? » Je t’aurais dit : « Ça va et toi ? » Tu m’aurais dit : « Comment va ta femme ? » Je t’aurais dit : « Comment va la tienne ? » Tu m’aurais dit : « Comment va ton âne ? » Je t’aurais dit : « Il va bien. » Après, tu m’aurais dit : « Qu’est-ce que tu manges, Nasreddin ? » Je t’aurais dit : « Mon halva. » Tu m’aurais dit : « Est-ce que je peux goûter ? » Je t’aurais dit : — Non ! Alors autant que je te dise non tout de suite !

L’hypocrisie fait perdre du temps.

Nasreddin est devant la porte de sa maison. Il va rentrer, lorsque soudain, un voisin l’interpelle : — Nasreddin Nasreddin ! J’ai entendu dire que tu as un vinaigre vieux de 40 ans ? — Oui oui, lui répond Nasreddin. — Et est-ce que je peux goûter ? — Non ! S’il a 40 ans, c’est que personne n’y a goûté !

Une chose devient précieuse quand elle traverse le temps loin des curieux. Il est toujours préférable de réfléchir avant de parler.

Un voisin vient d'offrir à Nasreddin une belle grappe de raisin. Il la déguste tranquillement sur son banc devant sa maison, lorsqu’un enfant arrive. — Oh Nasreddin tu me fais goûter ? Nasreddin lui donne un grain. — Mmmm, il est bon ! lui dit l’enfant. Tu m’en donnes encore ? — Non non non… Le grain te donne le goût de toute la grappe !

Apprécie ce qui t’est donné. Le peu que tu as reçu a le goût de l’essentiel. Apprendre à dire non, est une preuve d’écoute de soi-même.

Nasreddin a fait un trou dans son jardin et le remplit de pierres. Son voisin mitoyen l’observe, passe la tête par-dessus le mur et lui dit : — Nasreddin ! Qu’est-ce que tu vas faire de la terre du trou ? Nasreddin lui répond : — Je ferai un deuxième trou, et je la mettrai dedans. — Et la terre du deuxième trou, tu vas la mettre où ? — Je ferai un troisième trou et je la mettrai dedans ! — Et la terre du troisième trou ? — Écoute ! répond Nasreddin agacé. Mon plan est trop compliqué pour toi. Laisse tomber !

C’est peine perdue d’essayer d’expliquer un plan trop compliqué à qui ne peut le comprendre. La curiosité peut provoquer la contrariété.

Nasreddin a un esprit de contradiction très développé, et cela date de son enfance. Cette nuit, là, il est avec son père dans le jardin, et tous les deux regardent le ciel, les étoiles… Soudain, le père dit à Nasreddin : — Mon fils, j’ai l’impression que tu vois double. — Mais pas du tout, papa. Si je voyais double, au lieu de deux lunes, j’en verrais quatre !

A chacun sa vision des choses. Mais il arrive parfois que deux points de vue divergents parviennent au même résultat.

Nasreddin a quinze ans. Et comme tous les adolescents, il ne veut surtout pas faire comme son père. Il se trouve que celui-ci est le gardien du tombeau d’un saint, dans la ville de Konya. Nasreddin en parle à son père et celui-ci lui dit : — Mon fils ! Je te donne ma bénédiction. Regarde, je t’offre un âne, et tu peux aller voir le monde ! Nasreddin, tout heureux, s’en va avec son premier âne. Il fait des kilomètres sans s’arrêter sur cette petite monture adorée ! Il traverse des villages, longe des fleuves, va même dans le désert. Jusqu’au moment où, un matin, arrivé sur une petite colline, son âne n’en peut plus et pousse son dernier soupir. Alors il décide de l’enterrer. Seulement il a chaud… Alors il cherche quelque chose pour protéger sa tête, et il trouve un tissu… un long long tissu, tellement long, qu’il est obligé de l’enrouler autour de son crâne. Ainsi protégé, il enterre son âne, s’agenouille et prie pour lui. Si bien que les gens, le voyant, se disent que cet homme doit être un ermite qui prie sur le tombeau d’un saint ! La rumeur court et elle arrive jusqu’aux oreilles du père de Nasreddin. Celui-ci veut voir ça de ses propres yeux ! Il fait tout le chemin, arrive près de la petite colline, pousse des coudes pour s’approcher du tombeau, et là, surprise, il trouve son fils. — Nasreddin ! Nasreddin c’est toi ?! C’est toi L’ermite qui garde ce saint ?! — Non non papa. Écoute… il faut que je te dise… C’est l’âne que tu m’as offert que j’ai enterré là, et je n’ose pas le dire ! — Alors là. C’est incroyable !… Nasreddin, il faut que tu m’écoutes, je vais te dire un secret. Le tombeau du saint que je garde à Konya… — Oui ? — C’est la tombe de l’âne que mon père m’avait offert !

Les secrets de famille révélés sont libérateurs. Fuir l’exemple de ses parents n’aide pas forcément à s’en libérer. L’habit fait souvent le moine. Plus le turban d’un sage est grand, plus on y croit. Mais ce n’est pas forcément justifié.

Nasreddin arrive en courant dans la maison de thé. — Les amis ! J’ai perdu mon âne ! Comme je suis content ! — Eh Nasreddin ! Tu as perdu ton âne et tu es content ? — Eh oui ! Si j’avais été dessus, je me serais perdu aussi !

Il ne faut jamais se perdre de vue.

Si tu perds quelque chose, ne le regrette pas.

Nasreddin est affamé. Il est parti de chez lui ce matin sans manger. Il est quatorze heures, il lui faut absolument trouver quelque chose pour apaiser sa faim. Mais le village qu’il traverse est totalement désert. Aucun marché, aucune boutique. Par chance, une femme là-bas sur la route vend des poivrons. Nasreddin descend de son âne, s’approche d’elle, et lui demande le prix. — Le plateau, un aktché ! lui répond la marchande. — Et au détail ? demande Nasreddin. — Je vends le plateau tout entier. Nasreddin fouille dans sa poche. Il n’a qu’un aktché… Mais son estomac le tenaille. Et il n’est pas sûr de trouver autre chose à manger avant longtemps. Alors, assez contrarié de dépenser sa dernière pièce, il achète tout de même le plateau de poivrons. Un peu plus loin, il s’installe sous un arbre, à l’ombre, pour déguster ces petits légumes rouges et croquants. Mais très vite, il se rend compte que ce ne sont pas des poivrons mais des piments. Obstiné, il continue néanmoins à les manger. Ses yeux brûlent, il pleure, il suffoque. Mais il n’arrête pas pour autant. Un homme passe et le voit. — Tu manges les piments comme ça ? — Ce ne sont pas les piments que je mange, c’est mon argent !

Sois indulgent avec toi-même. Te punir pour tes erreurs, ne fait qu’envenimer les choses.

Nasreddin est dans la forêt. L’air est si doux qu’il décide de faire une sieste au pied d’un arbre. Il laisse son âne brouter tranquillement, et s’endort. Lorsqu’il se réveille, son âne n’est plus là. Il se lève, regarde autour de lui, cherche. Plus d’âne ! — Mon âne ! Hooo ! Mon âne ! Mais l’âne ne revient pas. Il a bel et bien disparu. Alors, Nasreddin retourne en ville à pieds. Il va directement chez son ami Mustapha. — Mustapha ! Mustapha ! — Oui. Qu’est-ce qu’il y a, Nasreddin ? — Qu’est-ce que tu as fait aujourd’hui ? — Je suis allé au marché. — Et tu es allé à la maison de thé aussi ? — Oui. Comme d’habitude. — Oh, Mustapha, écoute moi. Est-ce que tu as entendu dire que j’ai perdu mon âne ? — Euh… non. — Est-ce que quelqu’un t’a dit : « Nasreddin a perdu son âne » ? — Mais non, Nasreddin. Non ! — Tu es sûr ? Personne n’a dit que j’étais dans la forêt et que j’ai perdu mon âne ? — Mais non, si je te le dis ! — Aah ! Me voilà rassuré. J’ai eu peur que ce soit vrai !

La rumeur est plus puissante que la vérité.

Nasreddin discute à bâtons rompus avec ses amis dans la maison de thé, et il avance tout d’un coup : — Ah moi, j‘aimerais mourir le même jour que mon âne. — Nasreddin ! On en a assez de ton âne… Tu nous en rabats les oreilles tous les jours. C’est bon !… Alors Nasreddin leur répond : — Mais, les amis ! C’est juste parce que je ne voudrais pas aller au Paradis à pied !

Qui veut voyager loin, surtout au paradis, ménage sa monture...

Nasreddin a rassemblé tout le monde sur la place publique. Il est monté sur une caisse pour que tout le monde le voie et que tout le monde l’entende ! — Quelqu’un a volé mon âne ! Je vous avertis. Si ce soir, il n’est pas de retour dans mon jardin, je vais être obligé de faire comme avait fait mon père ! Tout le monde se met à chercher… Mon Dieu ! Il va faire comme avait fait son père !… Alors on cherche, on cherche, et finalement le soir, l’âne de Nasreddin revient dans son jardin ! Alors on l’entoure et on lui dit : — Nasreddin, qu’est-ce qu’il avait fait ton père ? — Eh bien ! Il en avait racheté un autre !

Il arrive que l’on surestime la sagesse des Anciens. Avant de te laisser impressionner par une menace, vérifie d’abord si elle est fondée.

Nasreddin trottine sur son âne en compagnie de trois marchands qu’il a accompagnés à la ville voisine. Ils ont fait de grosses provisions et leurs ânes sont très chargés. Sur la route du retour, ils décident de prendre un raccourci. Ils longent une rivière. Mais à un moment donné, il faut qu’ils passent un pont. Et ce pont est très fragile…Néanmoins les marchands s’engagent… Et au moment où l’âne de Nasreddin va poser son sabot, le pont s’effondre, faisant tomber les marchands, leurs ânes et leurs marchandises. Nasreddin les regarde, nageant dans l’eau désespérément. Nasreddin s'exclame : — Eh bien ! On a frôlé la catastrophe !

Charité bien ordonnée commence par soi-même, surtout quand le pont s’effondre...

Depuis qu’il est petit, Nasreddin a réponse à tout. Son père l’emmène par exemple chez un voisin qui a un grand verger et demande au petit Nasreddin : — Qu’est-ce que c’est que cet arbre, Nasreddin ? — C’est un figuier. — Bien Nasreddin ! Et celui-là là-bas ? — C’est un amandier. — Bien !… Bien !… Et celui-là ? Le voisin lui montre un abricotier, couvert de beaux fruits bien oranges. Alors comme Nasreddin ne sait pas ce que c’est, il répond : — Ça, c’est un arbre à œufs durs. Eh bien oui, avec la tempête qu’il y a eu hier, il a perdu tous ses blancs !

L’imagination fait beaucoup !

Lorsque Nasreddin était enfant, il allait souvent faire des courses avec son père, chacun sur un âne. Et ce jour là, Nasreddin, trottinant devant, son père derrière, longent une rivière. Il leur faut passer un pont. Mais le père de Nasreddin s’aperçoit que le pont est très très fragile et qu’il ne faut surtout pas monter dessus. Alors il réfléchit : il sait très bien que son fils a un esprit de contradiction tellement élevé que s’il lui dit « ne va pas sur le pont », Nasreddin fera le contraire. Alors, il lui lance : — Nasreddin ! Va sur le pont ! Il n’en revient pas ! C’est la première fois que son fils l’écoute ! Et comme prévu, le pont s’effondre, le petit Nasreddin tombe avec son âne et tout le chargement. Alors il ressort de l’eau, tout mouillé, il regarde son père dans les yeux, et lui dit : — Tu vois ! pour une fois que je t’écoute, voilà ce qui arrive !

S’écouter avant d’agir. Car l’on pourrait regretter d’avoir obéi.

Nasreddin est en montagne. Il marche sur un chemin caillouteux assez escarpé. Et parfois, pour admirer le paysage, il ne fait pas attention à l’endroit où il pose les pieds. Soudain, il glisse et tombe dans le ravin. Heureusement, il réussit à s’agripper à une racine… Au-dessous de lui, c’est le vide. Il sue, il pleure… lorsqu’il entend : — Lâche Nasreddin, c’est moi, c’est Dieu, fais confiance, lâche… — Dieu ? Euh … il n’y aurait pas quelqu’un d’autre ?

La confiance est importante, mais la prudence est divine. Crois en Dieu mais attache ton chameau.