La vie n'est pas un verre de vin mais le vin lui-même doit-il être savouré ou bu ?
On a tellement l'habitude de ne pas porter attention à la beauté des choses qu'on a parfois la tentation de se jeter dans l'attitude inverse ; et de veiller à déguster, savourer chaque instant de l'existence comme on le ferait, pourrait le faire du moins, d'un verre de vin ou d'un cornet de glace. A chaque chose, à chaque détail, on tente alors d'accorder, religieusement, tout l'intérêt, tout l'émerveillement qu'il mérite (qu'il mérite effectivement, si extraordinaires sont la variété et la beauté du monde, des fleurs, des pierres, des visages, des moments), et de se comporter justement à son égard, je veux dire comme le ferait, d'un chef d'œuvre, le visiteur d'un musée.
La vie, pourtant, n'est pas un verre de vin ; on ne la déguste pas, appréciant sa rondeur, son goût boisé ou le parfum de la banane ; on la vit ; on la vit au rythme de la vie, avec ses joies, ses ennuis, ses bonheurs, ses envies de dormir et ses instants de grâce.
(J'écris cela tandis que je suis attablé à un café de Perpignan, La Rotonde (nom original !) : mon train a eu un problème technique, il a 1h40 de retard qui me font devoir attendre deux heures un car qui m'emmènera dans la montagne. Il fait gris, il pluviote même mais je sirote ma bière, la
première gorgée et les autres, heureux du sourire de la serveuse, du souvenir de mon week-end marcheur et du plaisir que j'ai eu, tout à l'heure, à lire cette extraordinaire histoire de
l'homme qui prenait sa femme pour un chapeau que m'avait conseillée Claudia (je l’en remercie déjà avant de le faire de vive voix). Et de cela, j'éprouve une sorte de béatitude, comme ces
rêveries du promeneur solitaire dont Célia et Laurence nous parlaient l'autre jour. Je savoure ce moment perdu, perdu et donc gagné sur les obligations du monde).
À Perpignan
La vie se vit, elle ne se déguste pas en essayant d'en faire resplendir chacune des paillettes, chacun des parfums comme on le ferait d'une toile de maître, des rimes d'un poème ou d'un verre de vin. Chacun fait ce qu'il veut, naturellement, mais ce qui me semble certain, c'est que cette attitude gourmande, tastevine, un peu avaricieuse, dès lors qu'elle n'est pas totalement naturelle et spontanée, est profondément fausse et inauthentique.
Fausse et inauthentique car on ne vit vraiment, on ne jouit vraiment du plaisir de la vie qu'en la vivant vraiment, en la prenant comme elle vient et non comme un trésor qu'il faudrait infiniment chérir et regarder avec émerveillement. Vivre, vivre vraiment, c'est vivre comme si l'on avait toute la vie devant soi, une vie éternelle où tout serait toujours et indéfiniment recommençable ; vivre, c'est prendre le luxe de la gâcher de perdre son temps, comme si celui-ci n'était pas compté.
(Voilà : je monte dans le bus 560 qui,
du centre du monde, m'emmènera à Font-Romeu).
(Et même les verres de vin, je pense, toutes réflexions faites, qu'il faut les boire comme ça, et sans autre chichi).