Le bateau qui ne partira jamais (création hybride)
"Il part quand, le bateau pour le Soudan ?", demandent ceux qui se fichent des massacres du Soudan comme de leur première paire de chaussettes, qui n'ont jamais eu l'intention de faire quoi que ce soit pour mettre fin au malheur soudanais, et qui ne parlent de lui que pour éviter de parler de Gaza, n'utilisant l'inaction dans la guerre civile du Soudan que pour justifier l'inaction dans l'anéantissement de Gaza par l'armée israélienne.
"Il part quand, le bateau pour le Soudan ?", demandent-ils d'un ton railleur, comme s'il fallait, avant de faire quoi que ce soit, avoir préalablement réglé tous les problèmes du monde, comme si l'on ne pouvait tenter de réprimer le mal qu'à condition d’avoir mis fin à tous les maux du monde - et hélas ! ils sont nombreux.
"Il part quand, le bateau pour le Soudan ?" susurrent-ils, comme les marchands de cigarettes ou de pesticides susurrent qu'il y a plein de causes aux cancers et autres maladies, que tout ça est très compliqué et qu'il est donc urgent d'attendre ; comme les climatosceptiques susurrent que des étés chauds, il y en a toujours eu, qu'il est trop tôt pour tirer des conclusions et qu'il serait donc plus sage de ne rien faire ; comme font, depuis la nuit des temps, tous les menteurs qui mettent en avant un arbre-vérité pour cacher la forêt de leur déni et de leur mauvaise foi.
"Il part quand, le bateau pour le Soudan ?" interrogent-ils, et je n'ai pas de réponse à cette question. Mais ce que je sais, en revanche, et de façon absolument certaine, c'est que s'il faut attendre, pour que le bateau parte pour le Soudan ou ailleurs, que soient d'abord partis tous les bateaux qui, sur cette planète, tentent, avec maladresse, naïveté, bien peu de chances d'aboutir et parfois même un peu de mauvaise foi, de calmer les folies meurtrières qui se déchaînent, jamais il ne partira.
"Il part quand, le bateau pour le Soudan ?", demandent ceux qui, sous couvert d'équité et d’universalisme, travaillent à ce que jamais il ne parte, à ce que toujours il reste à quai.
En accompagnement sonore, derrière ma lecture,
L'aquoiboniste, de Serge Gainsbourg, chanté par Jane Birkin.