Il y a Marie et ses angoisses, qui partout la suivent, dont elle voudrait se défaire. L’angoisse de ne pas obtenir sa retraite à taux plein, celle de perdre un papier, de lasser son conjoint ou de savoir son fils en boîte de nuit.
Il y a Julie aussi, qui attend des nouvelles de la MDPH [maison départementale des personnes handicapées] pour le renouvellement de son AAH [allocation aux adultes handicapés], qui cherche du soutien et une sécurité pour ses enfants, voudrait qu’on la rassure sans lui dire qu’elle va bien.
Il y a les ordonnances qui soulagent les souffrances mais qui ne peuvent pas tout, les équilibres précaires à confirmer, le passé qui s’invite à la place du répit. Il y a les batailles que l’on livre toujours avec courage, le psy que l’on console et les rires partagés. Il y a surtout la vie qui enfin va commencer.
Il y a Monsieur Diallo et son double qui n’ont jamais pensé à voyager, qui ont dû fuir, à quelques décennies d’écart. Il y a l’arrivée en bateau, le vertige du dépaysement et la peur d’être différent. Il y a les procédures administratives à engager pour la demande d’asile à l’Ofpra [Office français de protection des réfugiés et apatrides], le sentiment d’être assiégé et un baptême ferroviaire de Strasbourg à Marne-la-Vallée.
Il y a Abderhamane aussi, qui se démène pour garder son jardin ouvrier après des années à la rue. Un lopin de terre à soi où faire pousser de l’ail et cultiver l’espoir qu’un jour, peut-être, le soleil ne manquera plus au décor.
Il y a Sophie, qui revient au cabinet pour un congé longue maladie, après trente ans d’absence. Il y a le passé sur lequel elle ne veut plus revenir, ses peurs et les moyens qu’elle a trouvés pour lutter. Il y a les tiers que l’on convoque pour tenter de rendre supportable la souffrance de l’autre.
Il y a Slimane aussi, qui contemple la beauté éblouissante de notre environnement et les étoiles, sous lesquelles nous sommes nés.
Il y a la forêt qui donne de l’énergie, l’air à chasser ou à accueillir.
Et les psychiatres, qu’il faut soigner.
A l'écoute
Série documentaire en 3 épisodes réalisée par Jeanne Teboul, mise en ondes et en musique par Jocelyn Robert et produite par Soukaïna Qabbal.
A l’origine de cette série, une invitation insolite : assister à la consultation d’un psychiatre libéral. On se figure d’ordinaire le cabinet de psychiatrie comme un huis-clos, sanctuaire dans lequel se formulent les peines les plus secrètes, à l’abri du secret médical. Dans cet espace, une présence tierce (la mienne), me paraissait d’abord inopportune et déplacée. Je redoutais l’embarras des patient·es ; je ne voulais rien troubler ni imposer. La conception du thérapeute était tout autre.
« Citoyen psychiatre » comme il se définit, Georges Y. Federmann exerce à Strasbourg depuis 1987. De son enfance marocaine, il garde le souvenir émerveillé des percussions jouées par les Gnaouas, ces descendants d’esclaves qui mendiaient dans les rues de Casablanca et ont forgé sa conviction, qu’on pourrait croire sortie d’un conte de fées : derrière les indigents, il est des princes. Fidèle à cet adage, il a conçu un dispositif thérapeutique unique en son genre, fondé sur l’accueil inconditionnel des personnes les plus vulnérables (psychiquement et socialement) et la consultation sans rendez-vous, à « l’heure du patient·e ». En 2005, il est victime d’une agression armée à son cabinet qui le blesse et emporte sa première épouse. De ce drame, il sort convaincu de la nécessité de poursuivre son combat pour une médecine plus juste : à visage humain.
Dans son cabinet, pensé comme un lieu résolument ouvert sur la cité et le monde, il tend l’oreille à celles et ceux qui n’ont d’autre refuge – étranger·e·s clandestins, exilé·e·s, traumatisé·e·s de guerre, toxicomanes, marginaux et sans abri. La psychiatrie se vit ici comme un engagement humaniste et politique qui génère de nouveaux équilibres, faits de réciprocité et de partage, de bienveillance et de créativité subversive. L’originalité de ce dispositif, et ma soif inlassable de comprendre les autres vies que la mienne m’ont convaincue de pousser la porte. Au fil des mois et des années, des relations de confiance et d’amitié se sont tissées au cabinet, jusqu’à imaginer A l’écoute.