
La rencontre avec Mohamed Aksouh était un épisode crucial dans le cheminement de mon apprentissage. Je me souviens d’avoir découvert la photographie du peintre dans la bibliothèque de mon père, j’avais alors dix-ans. À ce moment-là, je lisais El Cheikh wa el bahr, Le Vieil Homme et la Mer que mon père m’avait offert ; je ne comprenais pas grand-chose à l'histoire, mais sur la photographie en noir et blanc, j’ai immanquablement rattaché le regard gracieux de Mohamed Aksouh à Santiago, le personnage d’Ernst Hemingway. Trente-ans plus tard, j’ai reconstitué les fragments de mes souvenirs, lorsque j’ai retrouvé Mohamed Aksouh, à Paris, le Santiago de mon enfance. À mesure que je côtoyais le peintre dans sa demeure, un phrasé musical m’échappait : je ne pouvais totalement reproduire la même mer agitée, le même clapotis de vagues, la même prosodie salée que j’avais vécus dans mon livre de chevet. Plusieurs fois, dans la mer blanche de Mohamed Aksouh, je guettais avec irascibilité les instances émotives, pour revivre le même émoi juvénile, en vain. Aucune autre image filmique ne pouvait faire resurgir l’ardeur de mon théâtre d’enfance insouciante. Je me sentais dépossédé d’images, de sons, du même instant furtif ponctué de silence, en compagnie de Mohamed Aksouh. Immédiatement après, j’ai aperçu mon père rire sur ma rage contre les vagues déchaînées qui venaient de défaire le personnage esquissé dans une mer ingrate, par le prisme de mon imagination. Ce n’était plus la mer endormie, mais la mer en mouvement, en émotion, écumeuse, élégiaque. L’eau d’Ernst Hemingway qui a jadis étreint mon enfance avec Le Vieil Homme et la Mer m’a aujourd'hui noyé, à l’âge adulte, dans les blancs impassibles de Mohamed Aksouh. La mer du peintre est un monde arabesque, conçu de mots affables : le verbe est fœtal, utérin, sain, et d’autres verbes continuent de gicler, toujours colorés de blanc. Des verbes qui tournent, qui tourbillonnent, se greffant sur les ombres sous-jacentes de l’indicible, faisant souvent vaciller les vivants face aux affres des non-dits. Des verbes nouveaux accrochés aux cimaises qui libèrent du supplice. Des verbes salvateurs qui brisent le totem des ancêtres muets face auxquels on éprouve étrangement un attachement morbide. Les décombres continuent à être présents dans l’anamnèse des vivants presque morts, d’ailleurs, tant leur matin est calcinée par les implicites qui leur ont été légués au milieu de friches.
Il ne peut ainsi y avoir d’intermédiaire entre mon regard et les couleurs de Mohamed Aksouh, à force de flamber ma rétine sur le viseur de ma caméra que j'ai aussitôt éteinte. La parole est désormais notre adage. Je baigne dans l’allégresse pittoresque, atemporelle, entouré de pinceaux frêles et fantasques du peintre qui m’émeut sans répit avec des mots et des blancs...
Texte pensé et écrit par : Mohamed-Racim Boughrara
Lors de cet épisode on a parlé de :
De sa famille et ses parents
De son premier travail dans la ferronnerie
Sa transition vers l’art et la peinture
De sa vie avant et après l’indépendance de l’Algérie
Sa vision de la peinture
Son regard sur son époque
Références :
Sa biographie : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Aksouh
Nicole Algan : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Nicole_Algan
Louis Nallard : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Louis_Nallard
Jean Senac : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Jean_S%C3%A9nac_(po%C3%A8te)
Atelier 54 : https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Mohamed_Aksouh
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