Chercheuse en neurosciences (France & Liban), qui a contribué à la conférence-table ronde 04 : "
Création de récits : l’affaire de tous ?"
https://youtu.be/5Zdo_VLnPmc
in English
Samah Karaki est une neuroscientifique franco-libanaise. Elle a fondé et dirige le Social Brain Institute (SBI), une association qui utilise les savoirs de la science cognitive pour gérer des enjeux environnementaux et sociaux.
Son premier livre, “Le talent est une fiction”, est paru en 2023 dans le label Nouveaux Jours, chez Lattès (Le Livre de Poche, 2024). Elle y déconstruit la mythologie entourant les histoires de réussite individuelle.
— un entretien réalisé par Vassili Silovic, auteur et réalisateur de films documentaires, et enregistré aux Champs Libres (Rennes) dans le cadre de la série "Quels récits pour notre temps ?".
Samah Karaki
Le récit, avec empathie.
« L’acte de création consiste à nager, à contre-courant de nos propres flux existants. » Accepter la complexité du récit pour accepter l’autre.
Nous sommes toutes & tous des conteur·se·s : à la minute où nous ouvrons les yeux sur le monde, nous percevons et créons des images et des significations. La difficulté réside en la perception d’un monde déconnecté de nos perceptions passées. Il nous est facile de partager des douleurs que j'ai vécues ou similaires à celles que j'ai vécues. Il nous est, par contre, complexe d’entrer dans la perspective d’un individu ou d’un groupe que je ne connais pas, avec qui je n'ai pas partagé d'expériences communes. L'acte de création consiste à nager à contre-courant de nos propres flux existants. Ce qui peut être considéré comme un effort ou le résultat de l’effort en lui-même. Si nous décidons activement de décrypter nos pensées, de l'intérieur, et de réfléchir à ce que nous dirions, comment nous comporterions-nous ? Quelles seraient les raisons qui stimuleraient un comportement que nous jugerions comme mauvais ? En fonction du degré de connaissance de l’autre - de la simple rencontre et écoute d’un individu abordé pour la première fois, à un être cher - quand l’attention accordée est couplée à une appréciation positive de l’histoire contée et partagée, nous ne sommes pas, ici, dans le cadre d’un effort. C’est d’ailleurs une marque d’amour en soi : accepter l’autre comme une personne complexe, prendre en compte sa narration comme aussi complexe que la mienne.
« Le récit peut m'aider à me connecter à l’autre : avec empathie. » Le récit : un raccourci vers l'existence et la réalité de l’autre.
L’ouverture et l’intérêt pour l’autre existent parce que la rencontre est effective et qu’un échange notamment de questions est possible et que l’on vit le moment, en proximité. Un expérience personnelle que permet également la littérature : nous plongeons dans la réalité de quelqu'un d'autre et la capacité de la fiction à nous influencer est telle qu'elle élargit notre perspective du monde. Le récit est un raccourci vers l'existence et la réalité de l’autre. En neurosciences et en sciences cognitives, nous parlons d’attribution fondamentale : l'erreur est quand nous agissons, nous analysons nos comportements dans leurs contextes, nous expliquons nos comportements en les mettant au centre des conditions qui nous ont amené à agir et nous n’avons alors que trop peu d’intérêt envers les autres, uniquement pour expliquer nos propres comportements. Le récit peut m'aider à étudier les contextes et conditions qui stimulent nos actions,