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Dans notre monde, non pas si imparfait mais si riche et visqueux et épais - rares (et peut-être totalement absentes) sont les choses qui répondent à l'exigence d'absolu, de pureté, de transparence, que nous portons en nous comme un souvenir d'avant la
Chute : derrière toutes les causes, même les plus nobles et les plus grandioses, derrière tous les combats, même les plus beaux et les plus émouvants, il y a souvent (toujours ?) des intérêts en jeu, des marchés et du business qu'on défend, des ego qui cherchent à se valoriser. Rien de totalement pur, rien de totalement transparent, rien - même dans les meilleures causes - où l'on ne puisse trouver, sans qu'il soit pour cela besoin d'une grande recherche, des éléments de causalité moins reluisants que ceux mis en avant.
Cette entreprise qui défend une grande cause, ce sont ses bénéfices et son chiffre d'affaires aussi qu'elle défend ; cette ONG qui plaide pour telle ou telle mesure généreuse, c'est aussi son statut dans le concert des puissants, sa notoriété et l'avenir de ses dirigeants qu'elle accompagne ; ce parti qui prend telle position, c'est à la place dans les sondages et à la réélection de ses parlementaires qu'il travaille aussi. Rien, dans ce monde, ou presque rien, qui soit totalement désintéressé.
C'est ainsi : le monde est mélangé, visqueux, épais ; la lumière comprend des ombres ; et de la nuit, parfois, surgissent des étoiles.
Celui qui verrait dans cette impureté des choses, dans le fait que les bons combats sont parfois menés par des personnes dont les intentions sont mêlées, et parfois même totalement égoïstes, une raison pour ne rien faire ; celui qui prétexterait l'imperfection des causes pour ne pas faire ce qu'il a à faire ; celui qui conditionnerait son engagement à la transparence des choses - celui-là céderait à la mauvaise foi et utiliserait un faux-fuyant.
Dans le monde épais et visqueux où nous vivons, exiger la pureté totale de ceux qui mènent un combat est en effet probablement le meilleur moyen de ne jamais combattre ; exiger des causes qu'elles soient pures et immaculées est sans doute la voie pour n'en soutenir jamais aucune. Cette exigence, qui peut être celle d'un cœur pur et d'une âme droite, n'est le plus souvent qu'un piège de la mauvaise foi.
Il est triste et détestable que les uns ou les autres se parent de l'habit de lumière des grandes causes pour défendre leurs petits profits ou leurs sombres desseins. Mais cela ne suffit pas à faire d'une bonne cause une mauvaise cause. Il faut lutter contre cette sorte de détournement mais s'y arrêter serait céder à ce démon qui nous encourage toujours à ne rien faire, au démon du désespoir et du nihilisme.
Il faut défendre la pureté mais en faire une condition de l'action conduit à ne rien faire.
PS : en y repensant, c'est toujours la lutte du pragmatisme et de la vertu,
d'Antigone et de Créon.
En introduction et conclusion musicales à mon propos,
Back to Black, d'
Amy Winehouse. Parce que - de même que de l'égoïste et de l'impur se distinguent parfois au coeur des bons combats - notre monde est aussi celui où la lumière et la beauté les plus absolues jaillissent parfois du noir de la nuit.