Charles Péguy, dans : « Le Mystère des Saints Innocents » décrit Dieu le Père assailli, par une immense flotte de prières et de pénitences mise en place par son Fils. Et Dieu ajoute : « Je vois encore une autre flotte, invisible. Ce sont toutes les prières qui ne sont pas même dites, les paroles qui ne sont pas prononcées. Moi, je les entends : ces obscurs bons mouvements du coeur, qui jaillissent inconsciemment et qui montent vers moi. Celui qui en est le siège ne les aperçoit même pas. Il n’en sait rien, mais moi je les recueille, et je les compte et je les pèse... ».

La joie de la vie, c’est la prière, même si la prière devient parfois un rude combat. On en a une forte illustration dans le fameux combat de Jacob qui lutte avec Dieu, une nuit entière, et en gardera toute sa vie une trace à l’emboîture de la hanche. Mais il en sort béni. Allez donc voir les saints ! Vous n’en trouverez aucun qui n’ait eu à batailler dans la prière, non seulement pour tenir bon et ne pas déserter le champ de bataille quand surviennent les vents contraires, mais pour partir à l’assaut de toutes les formes du Mensonge qui empoisonnent l’humanité.

Nous ne sommes pas des anges. Nous avons la chance d’avoir un corps. Profitons-en ! Il ne tient qu’à nous d’en faire un magnifique instrument de prière. Prier, c’est voir, entendre, parler, chanter, prendre, manger. Prier, c’est se mettre tantôt à genoux, tantôt assis, tantôt debout. Tantôt marcher, parfois courir, et peut-être danser ! Tantôt lever les bras, tantôt battre des mains. Tantôt sourire et tantôt pleurer. Tantôt se taire et tantôt crier.

On se tait devant Dieu, non pas parce qu’on n’a plus rien à lui dire, mais parce que les mots manquent pour lui dire tout ce qu’on voudrait lui dire. On se tait avec Dieu, non pas parce qu’on n’a plus rien à se dire, mais parce qu’on a trop à se dire... ce trop-plein d’amour qui ne peut s’épancher que dans un silence profond et partagé.

À plusieurs reprises, dans les Évangiles, Jésus encourage la prière de demande. « Demandez, et vous recevrez ; frappez, on vous ouvrira ; cherchez, vous trouverez. » Ailleurs, il nous incite à faire nos demandes du fond du coeur et dans un esprit de foi : « Croyez que tout ce que vous demandez dans la prière, vous l’obtiendrez », dit-il, à condition que ce soit dans une bonne intention. Et pour ceux qui sont déçus de ne pas être exaucés aussi vite qu’ils voudraient, il ajoute la fameuse parabole de la veuve qui harcèle tant et si bien un juge inique qu’elle finit par obtenir gain de cause.

La prière chrétienne est fondamentalement une immense action de grâce, un MERCI illimité adressé à Dieu pour la merveille de sa création et la merveille plus grande encore de la rédemption. Ce Merci émerveillé culmine dans la grande « prière eucharistique » qui trouve sa place au coeur de la messe. Essayons d’imaginer ce que deviendraient nos journées si, au réveil, nous prenions l’habitude de tendre les mains vers le Ciel en disant : « Vraiment, il est juste et bon de te rendre grâce toujours et partout, à toi, Père très saint, Dieu éternel et tout-puissant... »

On rencontre parfois des gens qui voudraient bien prier et qui n’y arrivent pas. Certains ne savent pas comment s’y prendre, d’autres ne savent pas quoi dire, d’autres ont tellement de choses à faire qu’ils ne savent pas où caser la prière dans leur vie ; d’autres encore parce qu’ils doutent de l’existence de Dieu... Que dire à tous ces gens ? Le fr. Olivier Quénardel apporte quelques réponses.

Les amoureux se courent l’un après l’autre parce qu’ils sont fous d’amour l’un pour l’autre. À quoi ça sert de se courir l’un après l’autre ? À quoi ça sert de se donner des rendez-vous d’amour ? À quoi ça sert d’être impatients de se retrouver quand on s’aime ? À quoi ça sert de se manifester de l’amour ? Y a-t-il rien de plus nécessaire que de recevoir de l’amour et de donner de l’amour ?

Ne savez-vous pas que vous êtes un temple de Dieu et que l’Esprit de Dieu habite en vous ? dit Paul aux Corinthiens. En nous rappelant cela, saint Paul nous rend attentifs à ce qu’il appelle « l’homme intérieur », à tous les mouvements de notre intériorité : nos pensées, nos sentiments, nos affections, nos émotions, les désirs de l’Esprit, les gémissements de l’Esprit, les murmures de l’Esprit, tout ce qui relève de la « garde du coeur » pour que nous restions tournés vers les « choses d’en haut », là où se trouve le Christ, assis à la droite de Dieu.

L’année tout entière se déroule comme un grand tapis de prière où le Seigneur Jésus nous dévoile un à un l’ensemble de ses « mystères ». Au fond, il s’agit d’entrer avec toute l’Église dans la ronde de la contemplation de Jésus, le Seigneur, depuis le Mystère de son Incarnation jusqu’à celui de sa pleine Glorification à la droite de Dieu, en passant par celui de la Rédemption de l’humanité entière. La prière devient alors comme une danse dont le rythme est donné par l’Esprit saint lui-même. Le Christ et l’Église y entraînent toute la création.

Quand on a découvert comme c’est bon d’ouvrir sa porte au Seigneur Jésus, on n’a plus envie de le quitter. On tend à la prière continuelle. Ça ne veut pas dire qu’on passe son temps à prier, à dire le chapelet ou à réciter des psaumes, ça veut dire que l’on vit habituellement en présence de Dieu, sous son regard, où que nous soyons et quoi que nous fassions. Notre coeur est « pris ». Tous les chrétiens sont appelés à être des écoliers de la prière continuelle.

Chaque jour et à tout moment, il est là. Il l’a promis et il tient sa promesse. Et on ne peut pas dissocier Jésus, Christ et Seigneur, de son Corps qui est l’Église. Il ne se confond pas avec l’Église, mais il est inséparable d’elle. Jésus-Christ et l’Église, c’est tout UN. Nous tous qui sommes baptisés au nom du Père et du Fils et du Saint Esprit, nous sommes les membres du Corps du Christ, et c’est l’Église qui nous apprend à prier comme une mère apprend à prier à ses enfants.

Avez-vous jamais pensé que Celui qui frappe à votre porte en espérant que vous allez lui ouvrir est porteur d’un message qui vous concerne au plus haut point ? Vous êtes un « trésor ». Oui, rien moins qu’un trésor. Un trésor pour le roi du Ciel. On ne vous a jamais dit ça... Eh bien ! Si vous lui ouvrez, c’est la première chose qu’il va vous dire. Pas seulement avec des mots, mais en actes et en vérité.

Plus on s’enfonce dans les sentiers de la prière, plus on découvre les multiples facettes du Visage de Dieu. Tantôt c’est un étranger qui me demande à boire ; tantôt un médecin qui vient guérir les misères de mon corps et de mon âme ; tantôt l’ami fidèle qui vient se délasser chez moi et recevoir toutes mes confidences ; tantôt celui à qui je peux crier ma détresse et sur qui je peux déverser toute ma colère ; tantôt il se cache et tantôt il m’étreint ; tantôt il verse des larmes et tantôt il exulte de joie.

Avez-vous jamais pensé que la prière, la prière chrétienne, ce n’est pas d’abord une démarche que nous faisons, nous, mais une démarche que Dieu fait pour nous rejoindre, tous et chacun ? Dieu s’intéresse à moi avant que je m’intéresse à lui. Dieu s’intéresse à toi avant que tu t’intéresses à lui. Dieu s’intéresse à nous, à nous tous, avant que tous ensemble, on s’intéresse à lui. Autrement dit : Dieu nous devance toujours. Il arrive toujours le premier, parce qu’il nous aime. Il nous court après...

Impossible d’oublier le jour où j’ai entendu cette parole dans la bouche de mon père abbé : « la joie de la vie, c’est la prière » ! Jeune novice, on m’avait chargé d’approvisionner en charbon les deux grands poêles de l’église, raconte fr. Olivier Quénardel. J’étais donc en train de remplir des seaux de charbon pour les apporter à l’église, quand, tout à coup, passe le père abbé. Il s’appelait Dom Jean Chanut. Il me voit au travail et me dit : « Frère Olivier, prions ensemble ! »