Ce que je vais vous raconter ne se chuchote pas. Ne se hurle pas. Un liquide froid glisse entre mes mains. Je le réchauffe avec mes mots, avec ma voix. Je le réveille. Je m’y baigne pour le rendre vivant. Que la température s’ajuste. Sans choc thermique, cette fois.
Je vais vous raconter les morts et les vivants du quotidien. Notre peau tannée au fil des jours, qui soudain se fissure. La chair qui parle avant la voix.
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Ce que je vais vous raconter ne se chuchote pas. Ne se hurle pas. Un liquide froid glisse entre mes mains. Je le réchauffe avec mes mots, avec ma voix. Je le réveille. Je m’y baigne pour le rendre vivant. Que la température s’ajuste. Sans choc thermique, cette fois.
Je vais vous raconter les morts et les vivants du quotidien. Notre peau tannée au fil des jours, qui soudain se fissure. La chair qui parle avant la voix.
L’éclat dans ma peau lézardée
je glisse doucement
La peau du cercle retourné en son milieu
me plante des pieds à la bouche
cette voix qui manque
plonger encore
l’élan, le souffle
revenir au monde
nouvelle forme, autre langage
peau distendue, respirante
humus humide et collant
sur le corps, l’âme brèche
des vivants desséchés
je suis partie à ta recherche
j’ai descendu les marches
je suis tombée souvent
rattrapée la rampe
pleuré de peurs, de terreur, de joie
Mangé mes larmes
une à une
les cris qui sortent par mes oreilles
je deviens seuils
voix de traverse
lignées recousues
en nous l’innommable
le trou béant
mémoire rafistolée
pans qui pendent
s’envolent
Remembrement de ficelles et de trames
récits de peaux, de folies et d’élan
de joie puissante
Cet immense rire qui prend le corps
une vague, un tremblement,
vibration géante
qui retourne le monde
paillettes oubliées
étincelles soufflées, revigorées, éclatantes
gratitude
d’être encore en vie
pour avoir pu toucher cette peau-là
La colère s’engouffre en puissance dans la joie
refuse ce jeu de la terreur dans nos corps
au plus profond
dernier sursaut
mourir
plutôt que de laisser l’impuissance coloniser ses veines,
notre colonne et ses pores
lui déchirer les yeux
ne plus la laisser nous écraser
de honte d’exister
La joie revient
au creux de l’aine
partir dans un cri infini
nous ne sommes pas seules à puiser cette force souterraine
La terre s’ouvre
des milliers de volcans n’en peuvent plus
richesses inconnues
qu’il faudrait cacher, planquer, comme nos corps, nos âmes et nos jouissances
nous hurlons plus fort
dans un cri de joie immense
Nous voilà
du corps en bas, au plus profond
monte une force, une détermination
que l’on a voulu exterminer
La vie non éthérée,
puissance de nos vies indomptables
impossible à confisquer
même dans la mort.
Cette vie
je sais ceux qui la prenne
je connais l’anéantissement
le porte dans ma chair
pétrie de femmes et de fantômes
ma lignée habite le dedans dehors de mon monde
et du vôtre.
Vie de survivante, complément d’âme
offert pour raconter
avant qu’à mon tour je m’éteigne
leurs voix dans la mienne je tisse, je couds, je répare
soigne et témoigne
raconte et raffistole
fabule et lance au monde un récit de guérison
des mots, briques de paille et bulles
recouvrent le linceul
du semis pour une terre compostée
je me retourne le visage
regarde en dessous le masque et le suivant
toutes ces épaisseurs de silence
qui ont presque éteint nos voix
mais la brèche, la faille, le vent
et nos cris
nos histoires
un feu qui reprend au cœur de nos anéantissements
Je me relève
mes racines dansent
rejoignent le cœur du sol
sur lequel personne ne marche impunément
celui de la mémoire qui nous tient
de la peau qui fait seuils
espoirs, nos rêves
danses irréelles
qui restent dans la lymphe
les tissus s’agencent, s’étirent et se resserrent
mouvement immobile
et le vent. Je pense à toi, Jeanne.
Soigner le sol, l’aérer
laisser les âmes partir
raconté leur histoire
criée leur colère
pleurés leurs regrets
confiées leurs dernières volontés aux vivants
Nous les nouerons autour de notre cœur
avec la joie de la ligne à tracer.
Raconter par les bribes - Journal de voix tissées
Ce que je vais vous raconter ne se chuchote pas. Ne se hurle pas. Un liquide froid glisse entre mes mains. Je le réchauffe avec mes mots, avec ma voix. Je le réveille. Je m’y baigne pour le rendre vivant. Que la température s’ajuste. Sans choc thermique, cette fois.
Je vais vous raconter les morts et les vivants du quotidien. Notre peau tannée au fil des jours, qui soudain se fissure. La chair qui parle avant la voix.