
Jean-Baptiste Greuze (1725-1805)
Portrait de Bonaparte, Premier Consul, 1803
Château de Versailles
Joli portrait mais vilaine posture.
Si l'on croit l'abbé Jean Baptiste de la Salle, maitre des élégances de son temps : «Il est assez courant et recommandé de poser le bras droit sur la poitrine ou sur l'estomac, en mettant la main dans l'ouverture de la veste, à cet endroit, et de laisser tomber la gauche en pliant le coude. En général, il faut tenir les bras dans une situation qui soit honnête et décente.»
La main dans le gilet fut donc une posture honnête et décente que Napoléon Bonaparte adopta lui aussi mais ce n'est pas celle qu'on lui voit sur ce portrait.
Plusieurs autres postures d'ailleurs précéderont celles de la main dans le gilet.
En 1789, l'année de la Revolution française, Bonaparte a 19 ans et il est lieutenant d'artillerie. Sur une sculpture d'un certain Guillaume datant de cette époque, on le voit avec la main derrière le dos, posture jugée très indécente par l'abbé. On lui pardonne il n'avait que 19 ans ! Pendant la campagne d'Egypte, devenu général, Bonaparte ne jure que par la main posée sur son grand sabre qu'il brandit au clair ou garde au repos.
Le portait de Greuze que nous avons sous les yeux le représente un peu plus tard encore, en 1799, à l'âge de 29 ans, dans les atours sur brodés d'or fin du Premier consul, un tabouret curule à ses pieds mais un trône déjà tout prêt à l'accueillir, à sa droite.
La posture, avec ce déhanchement plutôt inhabituel chez un militaire, est singulière. On y voit une main droite négligemment posée, retournée, sur la hanche, alors que la main gauche s'alanguit pour se poser du bout des doigts, dans un mouvement très molle, sur une table. Et puis surtout il y a cette jambe droite légèrement repliée sur l'autre dans un geste de vierge semi-effarouchée, un peu de travers dans ses bottines gansées d'or et ornée d'un pompon.
Bref une attitude évoquant plus celle d'Albin dans la Cage aux Folles que celle de César devant le Sénat romain.
Un portrait très différent de celui d'Ingres, de la même époque pourtant, qui montre un premier consul très décidé et avec, déjà, la main coincé dans son gilet.
Alors que s'est il donc passer ici ? Un égarement de jeunesse malencontreusement saisi par Greuze dont c'est un dernier tableau ? Un coming out soudain montrant le vrai visage du Premier consul ? Eh bien pas du tout. Rien de tout cela si ce n'est l'influence déterminant de Cambacérés, le communiquant favori de Bonaparte comme on dirait aujourd'hui du coté des palais.
C'est bien lui, Jean-Jacques Regis de Cambacérès, alors deuxième Consul, qui tout droit sorti de l'ancien Régime avec sa tête toujours sur les épaules (eh oui il y en eut tout de même quelques uns), aurait recommandé à son petit camarade de jeu (dans le consulat s'entend) cette posture pour le moins relaxe.
Si Cambacérès souhaita que l'on montre ainsi son co-consul et néanmoins maitre à l'aube sa fulgurante carrière, c'était déjà sans doute pour un raison politique précise, en l'occurrence pour adoucir l'image du brillant général au sabre facile et un rien sanguinaire que la campagne d'Egypte venait de laisser. Un message du genre : "ce garçon a tous les talents non seulement c'est un général conquérant mais voyez quel homme doux, affable et détendu il peut être. Sans parler de sa beauté physique à celle de l'antique uniquement comparable !"
Un nouvel Aelxandre Le Grand en somme !
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