
https://www.ia-info.fr/ia-act-et-hypocrisie-politique-une-regulation-qui-protege-qui.html
L’adoption de l’AI Act européen, saluée comme une avancée réglementaire mondiale en matière d’intelligence artificielle, révèle en réalité une série de paradoxes, de tensions et de frustrations qui traversent la société française autant que l’écosystème technologique européen. Si la promesse initiale du texte affichait une ambition claire : protéger le citoyen européen face à des technologies à risques aux impacts sociétaux profonds, ses modalités d’application, tout comme la manière dont le débat a été structuré, soulèvent une question fondamentale : cette régulation protège-t-elle vraiment l’utilisateur final, ou bien entérine-t-elle, sous couvert d’éthique et de responsabilité, la domination structurelle des géants américains du numérique tout en bridant l’innovation locale et en faisant peser la charge de conformité sur les start-ups et PME françaises ?
Au cœur de cette problématique se trouve un angle mort rarement évoqué dans la communication institutionnelle : l’asymétrie persistante entre les moyens des GAFAM et ceux de l’écosystème français, de la complexité technique des normes, jusqu’à l’orchestration même du débat public autour de la régulation. Les GAFAM, dès l’origine, n’ont pas caché leur intérêt pour une régulation forte sur le Vieux Continent, jouant habilement la carte d’une autorégulation éthique aux États-Unis tout en poussant activement, à Bruxelles, à fixer des contraintes qui seraient rédhibitoires pour des acteurs émergents. L’AI Act, tout comme le RGPD hier, est désormais perçu par de nombreuses voix du secteur comme un outil d’écrémage de la concurrence européenne plutôt qu’un vrai rempart contre les dérives de la Silicon Valley : « Les Américains, conscients du potentiel commercial de l’IA, ont compris que la sur-réglementation européenne pouvait devenir un avantage concurrentiel pour eux », analyse Stéphane Roder, un consultant reconnu du secteur. Cette logique du « piège réglementaire », déjà appliquée avec succès par les big tech sur la donnée personnelle, se répète ici : les entreprises américaines leaders sur le marché de l’IA ont salué la démarche, feignant d’y voir un risque systémique, tandis que dans les faits, la massivité de leurs ressources leur permet d’absorber la complexité administrative et financière du nouveau texte sans difficulté décisive.