
Extraitde Histoires du soir, un livre de Benoît Broyart illustrépar Laurent Richard, en vente dans La Librairie de Benoît :
https://www.lalibrairiedebenoit.fr/shop/histoires-du-soir-201
Mon Papa est un aventurier, un photographe animalier spécialiste despays froids. J’ai beaucoup de chance, je sais. Cette fois, il m’aemmené avec lui pour sa nouvelle expédition. Bientôt, nous verronsdes manchots-empereurs. En vrai. De près. Enfin, pas trop près nonplus ; il ne faut pas les effrayer, juste les photographier.
Dans la cabine du bateau, je suis réveillée avant que Papa vienneme chercher. Quand il entre dans ma chambre minuscule, je suis déjàdebout en train de m’habiller : collants, tee-shirt spécialfroid, polaire, anorak… En Antarctique, même quand c’est l’été,on a intérêt à se couvrir. Autrement, on risque de geler. Par -40°C, il faut se protéger.
– Tu viens, Jeanne ?
J’ai vite avalé mon petit déjeuner. Sur le pont, j’aperçois lacolonie de manchots. C’est incroyable. Combien sont-ils ? Descentaines, des milliers. Ils font beaucoup de bruit en tout cas. Quepeuvent-ils bien se raconter ?
– Regarde comme ils sont beaux. Et ce sont les plus grands desmanchots. Ils font à peu près la même taille que toi.
Quand j’entends Papa dire ça, j’ai un peu peur. Je sais qu’ilssont inoffensifs, mais rencontrer des animaux chez eux, c’estimpressionnant.
Cinq minutes plus tard, nous marchons sur la glace, à quelquesdizaines de mètres des oiseaux. Pendant qu’il installe sesappareils photo, Papa me parle de son animal préféré. Lemanchot-empereur, il le connaît par cœur.
– Tu vois Jeanne, les poussins ont une tête noire et deux tachesblanches autour des yeux. Et chez le manchot, les parents s’occupenttous les deux du poussin.
– Tu m’avais déjà dit que le papa couvait l’œuf pendant quela maman partait pêcher, mais je ne savais pas qu’une fois lepoussin arrivé, ils s’occupaient tous les deux du bébé !
– Eh bien si. Les parents se relaient à tour de rôle pour luidonner à manger, figure-toi.
Il en a de la chance, ce poussin. Ses deux parents s’occupent delui quand il est tout petit.
– Tu sais ce qu’il a d’étonnant, aussi ? Avant que lepapa et la maman fassent connaissance, ils s’échangent descourbettes et chantent pour se séduire. Et quand ils se sontchoisis, ils se retrouvent ensuite sur l’immense banquise grâce àleurs cris !
Papa continue de parler. C’est normal, le manchot-empereur est sonanimal préféré. Une fois qu’il est parti sur ce sujet, on nepeut plus l’arrêter. Mais bientôt, je n’entends plus sa voix.De grands bruits résonnent autour de nous. Schbrouf, plouch,shiouf ! Une ribambelle de manchots sort de l’eau. Ilsprennent leur élan et glissent longtemps sur le ventre. Ils prennentla banquise pour un grand toboggan.
– Ma petite Jeanne, je crois que tu ne m’écoutes plus… Et situ faisais des photos, toi aussi, ça te dirait ?
Quelques secondes plus tard, me voilà derrière un de ses appareils,l’œil dans le viseur. J’appuie sur le bouton. C’est moi lapetite photographe animalière !
Papa range bientôt son matériel et nous retournons sur le bateau.On va pouvoir se mettre au chaud. Mais juste avant de rentrer…schbrouf, plouch, shiouf ! Papa trébuche et glisse sur le pontgelé. Il ne s’est pas fait mal, heureusement. Je repense auxmanchots et j’ai envie de rigoler. Une fois remis sur ses pieds,papa se tourne vers moi, un grand sourire aux lèvres.
– Apparemment, connaître les manchots-empereurs par cœur, cen’est pas suffisant pour savoir imiter leur glissade. Je crois quej’ai encore des progrès à faire, Jeanne.