
Extrait de Histoires du soir, un livre de Benoît Broyart illustrépar Laurent Richard, en vente dans La Librairie de Benoît :
https://www.lalibrairiedebenoit.fr/shop/histoires-du-soir-201
Trop c’est trop. La princesse Mélisse en a assez. Tout l’ennuiedans ce royaume. Aucun nuage. Température idéale. Ça ne peut plusdurer.
Mélisse aime avoir peur. Chaque soir, dans sa chambre, elle lit deshistoires qui fichent la trouille. Mélisse aime avoir peur. Et si leroi Isidore ne lui file pas les chocottes, demain elle prend laporte.
Au petit déjeuner, Mélisse dit à son père :
– Papa, je m’ennuie. J’en ai assez. Ma valise est prête. Et situ ne me fais pas peur, je pars travailler au musée de l’horreur.
– Le musée de l’horreur ? Ma chérie, une princesse n’estpas obligée de travailler. Tu n’es pas bien ici ?
– Papa, je veux une peur bleue. Pas un ciel bleu.
Le roi Isidore est désespéré. Perdre sa fille, jamais ! Ilréunit ses conseillers et leur dit :
– Mélisse s’ennuie au château. Elle veut une peur bleue.
Dans la salle, c’est le silence complet. La tête entre les mains,les conseillers cherchent la solution.
Une peur bleue, qu’est-ce que c’est ? Un ciel bleu, tout lemonde sait. Mais une peur bleue, aucune idée.
Alfred, le premier conseiller, se lève et dit :
– Une peur bleue, ça n’existe pas.
Le roi retient ses larmes.
Guillaume, le deuxième conseiller, se lève et dit :
– Une peur bleue, on n’a jamais vu ça !
Jofroi, son plus vieux conseiller, tord son dos et déforme sa boucheédentée. Il tire la langue et enfonce deux doigts dans ses trous denez. Il se lève d’un bond et se met à hurler.
– Waaaaaaaaaaaaaaaaaaargh !
Le roi claque des dents, terrifié. Il a les chocottes. Alfred etGuillaume tombent à la renverse. On ne voit plus que leurs pieds.
Jofroi sourit et dit :
– Une peur bleue, c’est ça ! Croyez-moi, après cettefrousse, Mélisse ne fera plus de caprice.
Le roi Isidore est soulagé.
– Jofroi, va ce soir dans sa chambre et donne-lui la peur bleuequ’elle réclame.
Mélisse a attendu toute la journée. Rien ne s’est passé. Demain,elle partira au musée de l’horreur pour travailler.
Sur son lit, elle ouvre un livre qui fiche la trouille. Une histoirede monstre qui dévore les enfants. À chaque page, Mélisse claquedes dents.
Dans le couloir, Jofroi avance sur la pointe des pieds, suivi par leroi. Le conseiller déforme sa bouche édentée. Avec ses doigts, ilétire ses trous de nez. Il se met à hurler :
– Waaaaaaaaaaaaaaaaaaaaargh !
Mélisse sursaute. Elle regarde Jofroi. Il danse d’un pied surl’autre en grimaçant.
La princesse ne claque pas des dents mais ses lèvres tremblent.Bientôt, elle sourit. Puis elle éclate de rire sur son lit.
Dans le couloir, Isidore comprend que la peur bleue n’a pas marché.Demain Mélisse partira à tout jamais.
Quand le roi entre dans la chambre, la princesse court vers lui. Ellele serre dans ses bras et s’écrie :
– Papa, ton idée est géniale. C’est mieux qu’une peur bleue.Jofroi avec les doigts dans le nez, je ne l’oublierai jamais. Jeveux recommencer. Autrement, inutile de me retenir. Je parstravailler au musée du fou rire.