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Du côté des autrices - Radio Campus Paris
Radio Campus Paris
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Du côté des autrices - Radio Campus Paris
Du côté des autrices : Marguerite Audoux
Son premier roman s’est vendu à plus de 100.000 exemplaires de son vivant. Un succès commercial qui n’a guère laissé de marques, à l’exception d’un titre de la presse féminine qui lui emprunte son nom : Marie-Claire. « Marie-Claire », c'est le premier roman de Marguerite Audoux, avec lequel elle a remporté le prix Femina en 1910. Marguerite Audoux est ainsi l'une des premières à recevoir cette récompense littéraire, créée six ans plus tôt par un collectif de femmes remontées contre l’entresoi masculin du jury du prix Goncourt, incapable de reconnaître les talents littéraires féminins. Dans le précédent épisode, je vous racontais d'ailleurs que le prix Goncourt n'avait été remis pour la première fois à une femme qu'en 1944, à Elsa Triolet. Marguerite Audoux, rien de la prédestinait à la littérature. Née en 1865, sa mère est morte lorsqu'elle avait trois ans, son père l'a abandonné à une tante, puis elle a été placée dans un orphelinat à Bourges, où elle est restée jusqu'à ses 14 ans. Elle a ensuite été installée comme bergère dans une ferme en Sologne, avant de partir à Paris où elle est devenue couturière. Dans cette ville, elle a subi encore d'autres épisodes tragiques : le chômage, la mort d'un nourrisson, de multiples déménagements...  Dans ce quotidien ballotté, guidé par la survie, alors que personne n'attendait quoi que ce soit d'elle, Marguerite Audoux a eu l'instinct de devenir amoureuse des mots. Personne ne met de livres sur son chemin, mais qu'à cela ne tienne, elle dévore les rares qu'elle trouve semés sur son passage. Alors qu'elle souffre des yeux plus tard, ce qui l'empêche de continuer à coudre et de lire, elle se met à écrire depuis son appartement étriqué ses souvenirs d'enfance romancés, qui deviendront son premier roman, « Marie-Claire ». Par l'entremise de l'homme avec lequel elle vit alors, Michel Yell, Marguerite Audoux finit par rencontrer un cercle d'amis passionnés de littérature. Ceux-ci découvrent ses souvenirs griffonnés. L'un d'entre eux, Francis Jourdain, confie leur lecture à l'écrivain et critique Octave Mirbeau. Celui-ci est aussitôt happé par ce roman. Il le vante auprès des éditions Fasquelle et il contribue ainsi à la publication de « Marie-Claire », en 1910. Dans la préface qu'il signe, Octave Mirbeau souligne la simplicité, la vérité, l'élégance d'esprit, la profondeur et la nouveauté de cette œuvre. Il voit juste. Les mots de Marguerite Audoux sont simples, mais si bien choisis qu'ils sont percutants. Les souvenirs racontent des moments naïfs de l'enfance d'une jeune fille qui tente de se trouver une place dans un monde où personne ne voulait vraiment d'elle. Les mots s'ancrent en nous et font jaillir le quotidien de l'époque. Entre la description des activités triviales de l'héroïne, ils savent aussi susciter l'imagination et louer la littérature. C'est le cas dans cet extrait le plus onirique du roman, où Marguerite Audoux raconte ces moments où Marie-Claire se réfugie pour lire et relire le seul livre qu'elle a déniché à la ferme, « Les Aventures de Télémaque ». EXTRAIT  « Pendant l'heure de la sieste, je montais au grenier lire un peu. J'ouvrais le livre au hasard ; et, à le relire ainsi, j'y découvrais toujours quelque chose de nouveau. J'aimais ce livre, il était pour moi comme un jeune prisonnier que j'allais visiter en cachette. Je l'imaginais vêtu comme un page et m'attendant assis sur la solive noire. Un soir, je fis avec lui un beau voyage. Après avoir fermé le livre, je m'accoudai à la lucarne du grenier. Le jour était presque fini, et les sapins paraissaient moins verts. Le soleil s'enfonçait dans des nuages blancs qui bouffaient et se creusaient comme du duvet. Sans savoir comment cela s'était fait, je me trouvai tout à coup au-dessus du bois avec Télémaque. Il me tenait par la main, et nos rêves touchaient le bleu du ciel. Télémaque ne disait rien ; mais je savais que nous allions dans le soleil. » Avec cet ouvrage aussi, Marguerite Audoux prend durant un instant la direction du soleil. La suite devint très attendue. L'autrice met pourtant 10 ans avant de publier son deuxième roman, « L'Atelier de Marie-Claire », dans lequel elle s'inspire de l'ambiance des ateliers de couture qu'elle a tant fréquentés. Les héroïnes, à nouveau, sont les femmes. Comme pour son expérience de la littérature, Marguerite Audoux pratique un féminisme très concret, elle qui fut abandonnée à plusieurs reprises par des hommes. Marguerite Audoux publie encore un autre roman et un recueil de contes, avant de mourir dans un relatif anonymat en 1937, année où un autre de ses romans est publié à titre posthume. Certains travaux d'universitaires ou de maisons d'édition ont toutefois le bon goût de réveiller les talents d'autrices trop vite et souvent trop injustement oubliées, comme j'ai pu le constater à plusieurs reprises en produisant ce podcast. Marguerite Audoux a justement eu l'honneur d'être rééditée récemment par les éditions Talents hauts, dans leur collection « Les Plumées », qui vise elle aussi à mettre en avant des autrices invisibilisées. Les références : – « Marie-Claire », de Marguerite Audoux, Talents hauts, coll. Les Plumées, Paris, 2019. Préface de Bernard-Marie Garreau. – « L'Atelier de Marie-Claire », de Marguerite Audoux, Talents hauts, coll. Les Plumées, Paris,  2019. Préface de Bernard-Marie Garreau. Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait de Marguerite Audoux (Wikimedia Commons) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « Concrete and Glass» de Nicolas Godin
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5 years ago

Du côté des autrices - Radio Campus Paris
Du côté des autrices : Elsa Triolet
Elle fut la première femme à recevoir le Goncourt, en 1944. Aussitôt des voix masculines s’élevèrent. Elles dirent qu’elle n’avait obtenu ce prix que parce qu’elle était une femme. Elles dirent qu’elle avait reçu ce prix pour des raisons politiques, parce que son recueil de nouvelles faisait écho à son engagement dans la Résistance. Une réaction digne de celles qui ont suivi les récompenses revenues à des femmes dans notre ère post #MeToo. Je parle d’Elsa Triolet, première femme à avoir reçu le Goncourt donc, mais qui continue d'être largement présentée comme la muse de Louis Aragon, dont elle fut la compagne. Elle a pourtant menée sa propre carrière, en tant qu’autrice et traductrice. Et si Aragon lui dédie beaucoup de ses œuvres, dont son fameux poème « Les yeux d’Elsa », ils ont en réalité entretenu un dialogue d’égal à égale, s’inspirant l’un l’autre. Leurs œuvres se sont même souvent répondu. C’est le cas entre le célèbre roman « Aurélien » d’Aragon (1944) qui fait écho « Cheval blanc » qu’Elsa Triolet a publié un an plus tôt. Elsa Triolet est née en 1896 à Moscou, sous le nom d’Ella Kagan. Elle tient son nom de famille sous lequel elle est connue de son premier mari, Antoine Triolet, un officier français en poste à Moscou. Elle publie son premier roman en 1926, en russe. Elle est encouragée à continuer dans cette voie par le cercle littéraire qu’elle fréquente dans la capitale soviétique. Elle quitte l’URSS pour la France avec Antoine Triolet, puis séjourne avec lui un an à Tahiti. Leur relation se dégrade et Elsa Triolet s’installe à Paris. Là, elle retrouve un autre cercle artistique. Celui des surréalistes, où elle rencontre Louis Aragon. Ils ne se quittent plus. Agnès Varda consacre d’ailleurs un court-métrage à leur amour, « Elsa la rose » (1966). Ensemble, Elsa Triolet et Louis Aragon s'investissent dans le communisme et dans la Résistance. « Le Premier accroc coûte 200 francs », c'est la phrase qui annonçait le débarquement en Provence. Elle reprend cette expression en guise de titre pour son recueil de nouvelles qui remporte le Goncourt. Malgré la liberté retrouvée, Elsa Triolet n'a pas eu un regard tendre pour les années d'après-guerre. Elle voit d'un mauvais œil l'oubli qui s'impose très vite sur les actions commises sous l'Occupation. Elle dédaigne aussi ces années fastes des Trente Glorieuses, de la croissance retrouvée, de la consommation décuplée. En 1959, elle entame sa trilogie « L'âge de nylon » avec un premier tome, baptisé « Roses à crédit ». Dans ce roman, Elsa Triolet raconte l'histoire de Martine, fille de Marie et d’un père inconnu, deuxième enfant d’une famille de six. Martine grandit dans une grande misère, dans une cabane en lisière d’un bois où les rats se faufilent sur vous la nuit. Elle déteste cet environnement du plus profond de son âme et se réjouit lorsqu’elle parvient à convaincre sa mère de la laisser être prise en charge par la coiffeuse du village, Madame Donzert, dont la fille Cécile est sa meilleure amie. Avec elles, Martine se délecte dans un univers de pacotille où tout est propre et sent bon, à l’opposé de ce qu’elle a vécu, comme on le perçoit dans cet extrait. EXTRAIT « Martine n’avait jamais été au cinéma, elle n’avait jamais vu la télévision… La radio, ça oui, chez M’man Donzert elle laissait la radio ouverte tout le temps, à tremper dans la musique et dans les mots d’amour… Mais venait M’man Donzert et elle coupait musique et mots d’amour avec l’indifférence du temps qui passe. Le silence qui s’ensuivait était odieux comme de recevoir un seau d’eau froide sur le dos, comme de manquer une marche, comme d’être réveillée au milieu d’un rêve. Pour Martine, cette musique était un vernis qui coulait, s’étalait, rendant toute chose comme les images en couleurs des magazines, sur papier glacé. Mme Donzert était abonnée à un journal de coiffure et elle achetait des journaux de modes où l’on voyait des femmes très belles, et du nylon à toutes les pages, des transparences pour le jour et la nuit, et, soudain, sur toute une page, un œil aux cils merveilleux ou une main aux ongles roses… et des seins dont le soutien-gorge accusait encore la beauté et les détails… Sur le papier glacé, lisse, net, les images, les femmes, les détails étaient sans défauts. Or, dans la vie réelle, Martine voyait surtout les défauts… Dans cette forêt, par exemple, elle voyait les feuilles trouées par la vermine, les champignons gluants, véreux, elle voyait les tas de terre du passage des taupes, le flanc mort d’un arbre déjà attaqué par le pic-vert… Elle voyait tout ce qui était malade, mort, pourri. La nature était sans vernis, elle n’était pas sur papier glacé, et Martine le lui reprochait. » Obsédée par le papier glacé et les ongles roses, Martine, première de sa classe, devient la parfaite employée du salon de coiffure de Madame Donzert avant de se faire engager à Paris dans un institut de beauté. Son bonheur dépend d’une quantité de produits de consommation et d’ameublement, qu’elle achète à crédit. Une obsession qui tourne à la déraison et qu'Elsa Triolet transcrit très bien, dans un univers entre le film « Vénus Beauté » de Toni Marshall et le roman « Les Années » d'Annie Ernaux, où défilent les objets et les envies qui marquent une époque. Elsa Triolet raconte les ambitions de plus en plus tristes et froides de son héroïne, prisonnière d'une image de la femme parfaite et d'un monde de plastique. Elsa Triolet continue sa trilogie avec deux autres tomes, « Luna Park » et « L'Âme ». Au total, elle publie une trentaine d'ouvrages. Elsa Triolet est très engagée dans la démocratisation de la lecture. Pour elle, un écrivain public est celui qui « exprime ceux qui ne savent pas écrire. Celui qui comme le magicien d’autrefois exorcise la foule, qui comme le psychanalyste d’aujourd’hui cherche à la libérer en nommant les maux qu’elle ne sait pas préciser ». Alors continuons à lire, pour ressentir le monde et la foule. Les références : – « Elsa Triolet, premier Prix Goncourt féminin », article sur Retronews.fr – Biographie d'Elsa Triolet sur le site de l'Erita (Équipe de recherche interdisciplinaire sur Louis Aragon et Elsa Triolet) – « L'identité féminine dans l’œuvre d'Elsa Triolet », de Thomas Strauder (dir.), Tübingen : Gunter Narr, coll. "Edition lendemains", 2011. Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait d'Elsa Triolet (Wikimedia Commons) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « Telefony » de Hania Rani et Dobrawa Czocher
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5 years ago

Du côté des autrices - Radio Campus Paris
Du côté des autrices : Lucie Delarue-Mardrus
Elle a laissé derrière elle plus de 70 œuvres : des recueils de poèmes, des romans et nouvelles, ainsi que des biographies, des essais et des récits de voyage. Elle était également journaliste, traductrice, conférencière, sculptrice… En somme, un vrai travail d'« Acharnée », nom qu'elle avait d'ailleurs retenu pour un de ses romans. Comment se fait-il alors que Lucie Delarue-Mardrus ne se soit imposée à moi qu'à la faveur d'une bonne pioche sur Internet ? Pourquoi n'avais-je jamais entendu parler d'elle auparavant, alors qu'on disait qu'elle formait, à son époque, une "éblouissante trinité" avec Anna de Noailles et Colette ? Lucie Delarue-Mardrus était pourtant une figure de la Belle-Époque. Elle était l'amie d'André Gide, de Paul Claudel, de Sarah Bernhardt, de Colette ou de Paul Valéry… Mais peut-être qu'elle a pris la poussière parce qu'elle refusait de son vivant les récompenses, à l'exception du prix de son amie Renée Vivien ? Ou parce que les critiques la laissait dans l'ombre de l'autre poétesse du moment, Anna de Noailles ? Ou bien en raison de sa gouaille, de son intérêt fort pour sa province normande ou pour sa description atypique de certains personnages féminins ? Rien que les détails biographiques de Lucie Delarue-Mardrus ont pourtant de quoi intriguer, déjà. Née à Honfleur en 1874, Lucie Delarue-Mardrus a failli se marier avec Philippe Pétain. Heureusement pour elle, ses parents refusent de lui donner sa main. Sa vie devient alors toute autre grâce à son mariage avec Joseph-Charles Mardrus, un orientaliste, traducteur des « Mille et une nuits ». Il l'encourage à se consacrer uniquement à l'écriture, délaisse sa carrière pour présenter ses œuvres à tous ceux qu'il connaît… Leur union tient quinze ans. Lucie Delarue-Mardrus devient l'amante de plusieurs femmes, en particulier de l'écrivaine américaine Natalie Barney. Sa première pièce de théâtre ne s'appelait sans doute pas pour rien « Sapho désespérée »... En confinement, j'ai parcouru les rares oeuvres romanesques de Lucie Delarue-Mardrus à portée de ma main sur Internet et j'ai été accrochée par la lecture de « Comme tout le monde », son quatrième roman, paru en 1910. Dans « Comme tout le monde », Lucie Delarue-Mardrus décline le thème de la femme bourgeoise désenchantée par le mariage, thème qui fleurit depuis la publication du « Madame Bovary » de Flaubert. Ce roman de Lucie Delarue-Mardrus n'a pourtant rien du pastiche. C'est une œuvre à part entière, authentique. Lucie Delarue-Mardrus y décrit de manière précise – souvent avec cynisme, mais jamais avec grossièreté – la vie conventionnelle de la bourgeoisie provinciale de l'époque, les aspirations perdues des femmes, les mariages imparfaits, les sensations déçues, la vie qui passe sans que l'on s'en rende compte. Elle donne corps à ces existences banales. L'héroïne, Isabelle Chartier, est originaire de Normandie comme son autrice. Sans cesse, elle cherche ce sentiment qu'on appelle le bonheur. Un bonheur qui viendrait la tirer de l'ennui de son existence. Un bonheur qui révèlerait que non, elle n'est pas tout à fait « comme tout le monde ». Elle est tentée par l'adultère, mais craint l'érotisme. Là, Lucie Delarue-Mardrus montre à quel point son héroïne est emprisonnée dans ses représentations. Isabelle Chartier se tourne alors vers la maternité, s'illusionnant qu'avec un troisième enfant – après l'aînée Zozo et le petit lion, surnom du deuxième – elle nouera enfin la relation profonde qui manque à son bonheur. Et l'on entre ainsi dans l'intimité d'Isabelle Chartier et de son foyer imparfait, avec cette scène si réaliste juste après la naissance. EXTRAIT « Mille petits événements désagréables arrivaient déjà dans la vie du nouveau-né, qui faisaient pleurer la jeune mère énervée. L’enfant tétait mal, ou bien il avait « le muguet » dans la bouche, ou bien des rougeurs sur le corps. Il arrivait qu’en le pesant le matin dans la balance de cuisine, au sortir de sa baignoire de poupée, on constatait qu’il n’avait pas assez augmenté. Ensuite, Isabelle eut des crevasses aux seins. Après la souffrance capitale de l’accouchement, un nouveau supplice, chose aiguë, martyrisante, renouvelée à chaque tétée… Dans les coins, Léon et sa belle-mère se mordaient les lèvres pour ne pas se dire de choses blessantes devant l’accouchée. On entendait en bas hurler subitement le petit lion, giflé par Zozo, ou bien se disputer la bonne avec la femme de ménage. Isabelle tendait l’oreille et guettait les visages. Une impatience de se lever pour remettre sur pied sa maison désorganisée la rendait irritable, difficile à soigner. Une dangereuse électricité chargeait l’atmosphère. Mais parmi ce tohu-bohu d’agacements, d’inquiétudes, de petites joies, de petits chagrins, Isabelle n’avait plus le temps de songer à ses regrets. Et cette naissance, qu’elle avait voulue au bord de l’adultère comme un remède à son âme chancelante, était un remède, en effet. » Dans ce roman, Lucie Delarue-Mardrus s'illustre parce qu'elle donne du poids au raisonnement d'Isabelle Chartier, tout en faisant d'elle une anti-héroïne. Elle s'illustre aussi parce qu'elle décrit, comme dans cette scène, ce qu'est vraiment la vie d'une femme, sans détour ni fausse pudeur. La maternité est pour elle une fausse promesse de bonheur transmise par la société, comme elle le rapporte dans d'autres de ses œuvres. Son héroïne est ainsi une mère déçue et imparfaite, qui délaisse ses deux aînés et n'aspire à en avoir un troisième que pour des raisons égoïstes. Malgré les qualités de ses romans, Lucie Delarue-Mardrus leur a sans doute toujours préféré ses poèmes. C'est par là qu'elle souhaitait obtenir la reconnaissance après laquelle elle courrait. On y retrouve peut-être encore davantage son audace, son parler franc, sa substantifique moelle.  « Je donne rendez-vous, dans l'avenir lointain ; à ceux qui liront mes poèmes », a-t-elle écrit. On promet de l'honorer. Les références : – « Comme tout le monde », de Lucie Delarue-Mardrus, éd. Taillandiers, Paris, 1910. Intégralité du texte sur Wikisource – « Lucie Delarue-Mardrus », article de Christophe Dauphin dans le n°40 de la revue « Les hommes sans épaules », 2015 – « Lucie Delarue-Mardrus : femme de lettres oubliée », mémoire de maîtrise en études françaises de Jean-––François Côté, Université York de Toronto, 1999 – « Lucie Delarue-Mardrus », dans « Regards sur la poésie du XXe siècle, Volume 1 », sous la direction de Laurent Fels, Les éditions namuroises, coll. "Etudes et Essais", 2009 – « Lucie Delarue-Mardrus : une femme de lettres des années folles », d'Hélène Plat, Grasset, Paris, 2004 Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + « Lucie Delarue-Mardrus, portrait à la cigarette », par Paul Nadar (Wikimedia Commons) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « The Yabba» de Battles
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5 years ago

Du côté des autrices - Radio Campus Paris
Du côté des autrices : Claire de Duras
Marguerite Duras, c'est sûr, vous connaissez. C'est l'une des autrices françaises les plus célèbres. Mais avez-vous déjà entendu parler de Claire de Duras ? Pas de lien de parenté entre les deux femmes, mais un talent littéraire certain. L'une est parvenue à se glisser parmi les figures masculines du Panthéon littéraire, l'autre a peiné à faire résonner son nom jusqu'à nous. Rendons donc hommage à la seconde, pour que le nom de Duras éveille désormais en vous autre chose que les doux souvenirs de la lecture de « L'Amant » ou du « Ravissement de Lol V. Stein ».  Claire de Duras est née Claire de Kersaint en 1777. Comme pour d'autres femmes de l'époque et beaucoup d'autres après, il fallut l'acharnement de plusieurs amis pour la convaincre d'écrire. En 1820, Claire de Duras, qui maîtrise l'art de raconter les histoires, leur narre un fait divers qui la trouble. Trois ans plus tard, elle publie « Ourika », son premier roman. Elle le publie de manière anonyme et seulement à une dizaine d'exemplaires, destinés à son entourage et inspirés de cette histoire. « Ourika », c'est un roman inspiré de l'histoire vraie d'une Sénégalaise arrivée en France à l'âge de deux ans, sauvée du bateau négrier sur lequel elle se trouvait par le gouverneur des possessions françaises du pays. Il ramène alors Ourika en France et la confie à sa sœur, qui l'éduque comme sa fille. Cette histoire parle à Claire de Duras pour plusieurs raisons. Petite-fille de planteurs en Martinique, mais aussi fille d'un membre de l'Assemblée constituante qui propose un plan d'affranchissement des esclaves, elle porte une réflexion sur la place des Noirs dans la société. Dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, alors que l'esclavage est interdit en métropole, l'aristocratie se pique de la mode d'avoir des domestiques noirs, certes affranchis, mais dont on scrute l'exotisme. Claire de Duras met alors en scène cette intégration imparfaite, où l'on fait croire à Ourika qu'elle s'émancipera comme les autres par son éducation alors que le racisme l'empêchera de transcender son statut. Ourika, seule femme noire dans une société blanche, incarne aussi pour Claire de Duras les sentiments de solitude extrême et de rejet auxquels elle s'est trouvée à plusieurs reprises confrontée, des sentiments qui nourrissent la littérature romantique d'alors. Dans son roman, Claire de Duras imagine le moment désarmant où Ourika découvre, par l'intermédiaire d'une conversation surprise entre sa bienfaitrice et l'une de ses amies, qu'elle sera à jamais différente à cause de sa couleur de peau. Ce moment lui fait relire toute son enfance et la plonge dans un désespoir absolu, dont elle ne peut parler avec personne.  Ourika intériorise alors le regard que la société porte sur elle et sur ses origines. Elle se met à être dégoûtée d'elle-même, fuyant les miroirs et cachant sa peau par tous les artifices possibles. Désormais alerte sur sa condition, elle craint les regards qui se posent sur elle, augmentant ses sensations d'exclusion, comme elle le décrit dans cet extrait. EXTRAIT « Ma position était si fausse dans le monde, que plus la société rentrait dans son ordre naturel, plus je m'en sentais dehors. Toutes les fois que je voyais arriver chez madame de B. des personnes qui n'y étaient pas encore venues, j'éprouvais un nouveau tourment. L'expression de surprise mêlée de dédain que j'observais sur leur physionomie, commençait à me troubler ; j'étais sûre d'être bientôt l'objet d'un aparté dans l'embrasure de la fenêtre, ou d'une conversation à voix basse : car il fallait bien se faire expliquer comment une négresse était admise dans la société intime de madame de B. Je souffrais le martyre pendant ces éclaircissements ; j'aurais voulu être transportée dans ma patrie barbare, au milieu des sauvages qui l'habitent, moins à craindre pour moi que cette société cruelle qui me rendait responsable du mal qu'elle seule avait fait. J'étais poursuivie, plusieurs jours de suite, par le souvenir de cette physionomie dédaigneuse ; je la voyais en rêve, je la voyais à chaque instant ; elle se plaçait devant moi comme ma propre image. » Claire de Duras est l'une des premières, dans la littérature occidentale, à avoir écrit un ouvrage dont le personnage principal est une héroïne noire, qui est aussi la narratrice du roman. Par l'originalité de son point de vue, par le désespoir absolu qu'il décrit, le roman se passe de salons en salons, forçant Claire de Duras à le publier de manière officielle pour éviter les copies pirates. « Ourika » devient alors une véritable référence culturelle. Plusieurs chercheurs décrivent que le roman arracha des larmes à Goethe. Balzac y fait référence dans l'un des tomes de la Comédie humaine. Louis XVIII commanda un vase représentant Ourika... Mais le roman tombe progressivement dans l'oubli, comme ceux d'autres autrices de la génération de Claire de Duras, dont les talents ont pourtant été loués par Chateaubriant ou Stendhal. C'est grâce à une réédition, en 1993 en Angleterre, que le roman a recommencé à susciter l'intérêt qui lui était dû et que Claire de Duras a été réhabilitée. Les références : – « Ourika » de Madame de Duras, texte intégral + dossier par Virginie Belzgaou, Gallimard, Folioplus Classique, 2020 Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait de Claire de Duras (Wikimedia Commons) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « Says » de Nils Frahm
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5 years ago

Du côté des autrices - Radio Campus Paris
Du côté des autrices : Marceline Desbordes-Valmore
Marceline Desbordes-Valmore était-elle maudite ? C'est du moins ce qu'en a pensé Verlaine, qui l'a élevée au rang de ses « poètes maudits », au même titre qu'Arthur Rimbaud et Stéphane Mallarmé. Maudite, sa vie le fut. Marceline Desbordes-Valmore reçut même le surnom de  « Notre-Dame des pleurs », tant son destin fit couler ses larmes et celle de ses lecteurs et lectrices. « Les Pleurs », c'est d'ailleurs le nom de l'un de ses recueils de poésie. Marceline Desbordes-Valmore, née en 1786 à Douai, a cumulé les épisodes douloureux et mouvementés. Un père ruiné, une mère qu'elle suit jusqu'en Guadeloupe et qui décède de la fièvre jaune dès leur arrivée, le retour à Douai, la vie de comédienne, une première liaison au-dessus de sa condition, deux enfants morts en bas âge et deux autres qui la quitteront plus tard, un amant dont elle fut éprise des années durant, mais qu'elle dut quitter pour suivre son mari à travers la France…. Mais il faut retenir autre chose que ce destin. Ce qu'il faut retenir, c'est comment Marceline Desbordes-Valmore l'a transcendé par la poésie. Marceline Desbordes-Valmore s'est mise à la poésie pour faire chanter son âme sur le papier, puisqu'elle n'arrivait plus à chanter avec sa voix. Elle explique y avoir renoncé parce que sa voix la faisait pleurer elle-même. Marceline Desbordes-Valmore écrit alors pour se délivrer de son « frappement fiévreux », comme elle le décrit. Et ce frappement touche en plein cœur ses contemporains, comme Baudelaire et Sainte-Beuve, impressionnés par l'originalité de son lyrisme et par sa pratique autodidacte. Car si Marceline Desbordes-Valmore a déclamé du Racine sur scène, elle n'a pas bénéficié d'une éducation au même titre que certains de ses pairs poètes. Elle délaisse alors parfois l'alexandrin, innove en inventant le vers impair de 11 pieds. Un style que Verlaine imitera. Certains renvoient tout de même Marceline Desbordes-Valmore à son sexe, parfois de manière dédaigneuse ou bien d'autres fois, comme pour s'excuser d'apprécier le lyrisme de ses vers abordant des sujets considérés comme féminins, alors qu'ils sont en réalité universels. Marceline Desbordes-Valmore parle beaucoup de l'amour, du manque, de l'abandon. Libre dans son style et dans ses sujets, intimes le plus souvent, politiques aussi parfois lorsqu'elle évoque la révolte des canuts à Lyon, Marceline Desbordes-Valmore devient quoi qu'il en soit une figure précurseuse du romantisme. Elle use de sa liberté pour inventer à sa façon une manière d'être poétesse. Qui sait révéler la musicalité des sentiments. Écoutons justement l'un de ses poèmes, où le rythme emporte la lecture. Il s'agit de son poème « La danse de nuit », où pour une fois elle décrit une scène joyeuse, où la fête doit l'emporter sur tout, faire valser les corps et les cœurs. EXTRAIT Ah, la danse ! La danse Qui fait battre le cœur, C'est la vie en cadence Enlacée au bonheur. Accourez, le temps vole, Saluez s'il-vous-plaît, L'orchestre a la parole Et le bal est complet. Sous la lune étoilée Quand brunissent les bois Chaque fête étoilée Jette lumière et voix. Les fleurs plus embaumées Rêvent qu'il fait soleil Et nous, plus animées Nous n'avons pas sommeil. Flamme et musique en tête Enfants ouvrez les yeux Et frappez à la fête Vos petits pieds joyeux. Ne renvoyez personne ! Tout passant dansera Et bouquets ou couronne Tout danseur choisira. Sous la nuit et ses voiles Que nous illuminons Comme un cercle d'étoiles, Tournons en chœur, tournons. Ah, la danse ! La danse Qui fait battre le cœur, C'est la vie en cadence Enlacée au bonheur. En découvrant les vers de Marceline Desbordes-Valmore, on a l'impression que ses poèmes sont déjà des chansons. Des musiciens ont d'ailleurs reconnu ce talent très tôt. Que ce soit le compositeur Camille Saint-Saëns, qui a imaginé dès l'âge de 7 ans une ballade au piano sur l'un de ses poèmes. Plus proche de nous, la poésie de Marceline Desbordes-Valmore est même rentrée dans la pop-culture sans qu'on y prenne garde, grâce à Julien Clerc, Pascal Obispo ou Benjamin Biolay. À vous de voir si vous souhaitez vous empresser d'aller découvrir ces adaptations… ou si vous préférez plutôt revenir aux textes originaux. Les références : – « Relire Marceline Desbordes-Valmore », épisode de l'émission La Compagnie des poètes, sur France Culture, du 08/11/2019 –  Site de la Société des études Marceline Desbordes-Valmore Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait de Marceline Desbordes-Valmore par Nadar (Wikimedia Commons) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « Danse II » de Philip Glass
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5 years ago

Du côté des autrices - Radio Campus Paris
Du côté des autrices : Mireille Havet
Je veux vous parler d'une héroïne qui en prenait trop. D'une autrice décimée à 33 ans après s'être jetée à corps perdus dans les paradis artificiels, pour oublier un mal-être dont elle n'arrivait pas à se départir. Il s'agit de Mireille Havet. Ou la « petite poyétesse », comme disait Apollinaire, qui l'a qualifiée aussi de « gonzesse de premier ordre ». Mireille Havet, c'est un peu des deux. La poésie et la provocation. La naïveté et le cynisme. L'introspection et l'étourdissement. Née en 1898, Mireille Havet est la fille de Léoncine Cornillier et d'Henri Havet, un peintre proche des artistes post-impressionnistes et symbolistes. Grâce à ses parents, elle évolue dès son plus jeune âge dans des milieux artistiques un brin bohèmes. Entre ses 10 et ses 15 ans, elle se rend chaque été dans un phalanstère à Neuville-sous-Montreuil, dans le Pas-de-Calais. Dans cet endroit où se rencontrent les mondes ouvrier et intellectuel, Mireille Havet fait la rencontre d'écrivains et d'écrivaines, et notamment de la comédienne et traductrice franco-russe Ludmila Savitzky, une personne importante, qui a permis de remonter le fil jusqu'au cœur de son âme. Car le plus grand chef-d’œuvre de Mireille Havet, c'est sa vie. Et elle a pris soin de la consigner prodigieusement de 1913 jusqu'en 1929, au moins, dans des cahiers et des feuilles volantes qui constituent son Journal. Ce chef-d’œuvre aurait pu rester moisir dans un grenier si Dominique Tiry, la petite-fille de Ludmila Savitzsky, ne l'y avait retrouvé en 1995 dans la maison de sa grand-mère, en Touraine. Elle prête alors attention à une malle qui s'y trouve. L'ouvre. Et y découvre des pages et des pages noircies par l'écriture de Mireille Havet, qui avait ainsi confié sa vie à son amie Ludmila. Dominique Tiry a alors déchiffré cette écriture, retranscrite ensuite par Pierre Plateau. Et c'est Claire Paulhan qui a édité en 2003 le premier tome de son « Journal », courant sur les années 1918 et 1919, avant de publier les tomes suivants, permettant de découvrir vraiment qui était Mireille Havet, cette figure lointaine du Paris littéraire du début du XXe siècle. On y découvre alors l'écriture romanesque et mélancolique de cette jeune femme de 20 ans, proclamée enfant prodige et prodigue dès son plus jeune âge. Dès ses 16 ans, ses poèmes étaient publiés par Apollinaire. Puis Colette préfaçait son recueil de contes fantastiques « La Maison dans l’œil du chat », publié à l'âge de 19 ans. Mireille Havet devenait alors une figure ingénue et curieuse du Paris littéraire, où elle s'est trop vite perdue. Dès les premières pages du premier tome de son « Journal », on est happé par son écriture, crue, lucide et lyrique, qui raconte sa recherche d'intensité, son élan vital qui devient morbide. Car dès ce premier tome, elle décrit le noir, l'ennui et le vide qui l'habitent. Des sensations renforcées par l'issue de la Première Guerre mondiale, qui a laissé plusieurs de ses amis morts ou blessés. Surtout, Mireille Havet aime les femmes, presque toutes. Elle ne vit que pour le désir d'un amour véritable, qu'elle recherche en chacune. Un désir qui la dévore. Mireille Havet crie son mal-être dans ses pages, puis le cache dans ses rires et dans l'ivresse des soirées. Elle aime s'étourdir dans les lumières de Paris, mais fantasme encore sa campagne et sa douce vie d'enfant. Elle sait qu'elle court à sa perte, mais fonce dans la recherche de sensations fortes, qu'elles soient sensuelles ou psychotropes. L'entrée dans la vie d'adulte est pour elle un déchirement, comme elle le décrit si bien dans ce passage. EXTRAIT « Je suis l'âge de l'amertume - vingt ans - . Ce grand sérieux de l'enfance et son candide étonnement me pèsent encore comme l'ombre d'où je viens, et je n'ai pas assez souffert pour ne m'en prendre qu'à moi-même et rire de tout, en me sachant dans l'enfer ou dans le ciel selon le temps et les conversations. C'est sans doute parce qu'ils savent le fond de la souffrance, les élans de l'amour, les étendues de l'égoïsme et de la cruauté, qu'ils peuvent être tous si facilement aimables et si légers. Mais moi ! moi qui n'ai fait que lire et deviner et m'instruire, me voilà plantée au milieu d'eux tous, avec du rêve plein la tête et des larmes plein les yeux. Tout ce qu'ils disent m'effraie et me touche, et à force d'être trompée, je ne crois plus rien et je dis : "quoi, c'est cela l'humanité, cela la France, cela Paris ?". Oh ! mon Dieu, permettez que ma déception enfantine ne me conduise pas à la haine du monde, et que je sache voir, à travers leurs vilains visages et leurs combinaisons boiteuses, les merveilleux rouages de l'univers et renouer les fils de la grande intrigue et du grand jeu ! » Dans cet extrait, tout semble ainsi déjà là : son goût et son dégoût du monde, la magie de l'enfance à laquelle succèdent les tiraillements d'une adulte désenchantée. Dès cet extrait, on entend à quel point le reste du parcours de Mireille Havet sera difficile.  En 1929, elle effectue un bref séjour à New York, puis revient malade en France, tuberculeuse, et sa condition devient de plus en plus précaire. Elle s'enfonce encore plus inexorablement dans les drogues, consciente de la destruction inéluctable vers laquelle elles l'emmènent. La lire nous embarque dans son destin. C'est noir, mais puissant. On comprend que ce « Journal » est la meilleure trace écrite qu'elle ait laissée. Difficile de la lâcher.  Les références : - « Journal 1918-1919 : le monde entier vous tire par le milieu du ventre », Mireille Havet, 2003, Paris, éditions Claire Paulhan - « Mireille Havet, l'enfant terrible », d'Emmanuelle Retailleau-Bajac, 2008, Paris, Grasset - « Qui a peur de Mireille Havet ? », article du blog « (re)lire» hébergé sur le site The Conversation et tenu par Alice Delmotte-Halter, chercheuse associée en littérature à l'université de Lorraine Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait de Mireille Havet (DR) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « Gnossienne n°1 » d'Érik Satie
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Du côté des autrices : Constance de Salm
Il y a des noms d'auteur qui ont toujours virevolté autour de nous. Stefan Zweig en fait partie. J'ai apprécié le découvrir lorsqu'on m'a offert « La Pitié dangereuse ». Curieusement, il y beaucoup moins de noms d'autrices qui ont virevolté jusqu'à nous. C'est d'ailleurs ce qu'on essaye de réparer dans « Du côté des autrices ». Et il y a des moments où l'on continue d'être frappée, en apprenant des anecdotes littéraires. Par exemple lorsqu'on découvre qu'un auteur, clairement passé à la postérité et confortablement installé dans la culture légitime, s'est inspiré par moment d'une femme, qui elle n'a pas obtenu une reconnaissance similaire. C'est le cas entre Stefan Zweig et Constance de Salm. Stefan Zweig est l'auteur notamment de « Vingt-quatre heures de la vie d'une femme », publié en 1927. Un roman très connu (et très beau, d'ailleurs) dont le concept (et le titre surtout !) s'inspire en partie de « Vingt-quatre heures d'une femme sensible », de Constance de Salm. Un ouvrage paru pour sa part en 1824. J'ai découvert Constance de Salm en lisant « La Querelle des femmes ou n'en parlons plus », écrit par Éliane Viennot et paru en octobre. Éliane Viennot y relate cette période, qui s'étend du 15e jusqu'au 20e siècle, où un discours misogyne s'est construit, trouvant des arguments fallacieux pour éloigner les femmes de certaines sphères. Constance de Salm s'est frottée à l'un de ses épisodes. Mais revenons au début. Constance de Salm est née Constance de Théis en 1767 à Nantes. En 1794, elle écrit une tragédie lyrique sur la déesse grecque Sapho, qui rencontre un véritable succès critique dans sa mise en scène. La pièce est jouée plus de cent fois. L'année suivante, Constance de Salm est la première femme admise au Lycée des arts. Elle devient à cette époque l'une des figures de la vie artistique et littéraire parisienne. Elle tient un salon la moitié de l'année, fréquenté notamment par Alexandre Dumas et par Stendhal. Elle est surnommée la « Muse de la raison » ou « le Boileau des femmes ». Constance de Salm s'illustre lors d'un épisode de la Querelle en 1797. L'année précédente, Écouchard Lebrun, un poète français, voulait interdire aux femmes l'accès à la poésie. « Voulez-vous ressembler aux Muses ; Inspirez, mais n’écrivez pas », osa-t-il écrire lui-même. Constance de Salm répond par une salve vindicative dans son « Épître aux femmes », un texte en vers dans lequel elle encourage les femmes à s'émanciper. Ce texte fait de Constance de Salm une figure féministe de l'époque, largement acclamée. Connue de son vivant principalement son œuvre poétique en vers, Constance de Salm n'a écrit qu'un seul roman, « Vingt-quatre heures d'une femme sensible », que j'ai retenu pour vous en lire un extrait. Comme elle l'explique dans sa préface, Constance de Salm a écrit cet ouvrage pour répondre à ceux qui lui reprochaient « le ton sérieux et philosophique de la plupart de [ses] ouvrages ». Elle y répond en disant que « le goût des ouvrages sérieux n'exclut en rien la sensibilité ». Alors elle dépeint dans cet ouvrage toutes les nuances des sentiments auxquels le cœur et la raison d'une femme sont soumis, lorsqu'elle découvre que son amant part aux bras d'une autre femme, à la fin d'un opéra. Contrairement au roman de Stefan Zweig, celui-ci est épistolaire. 46 lettres écrites en 24 heures et adressées par l'héroïne à son amant. 46 lettres qui racontent les tourments de l'âme, de la jalousie, du sentiment amoureux. Voici la troisième d'entre elles. EXTRAIT « Que se passe-t-il donc en moi ? Aucune circonstance nouvelle n’a pu augmenter mon trouble, et cependant il s’accroît à chaque instant. Je crois voir mille choses qui m’étaient échappées d’abord. Il semble qu’il y ait des douleurs qu’on éprouve sans le savoir, et dont on ne se rend bien compte que quand elles remplissent tellement le cœur qu’il lui devient impossible de les supporter. Ces idées sont, il est vrai, vagues et confuses ; elles passent devant mes yeux et s’évanouissent comme de vains fantômes ; mais il en est une qui reste toujours là ; une dont la vérité m’épouvante ; une qui repose sur un fait, et que je ne puis me nier à moi-même. Vous avez remarqué cette femme, mon ami ; vous l’avez remarquée ! Et qui ne sait que toutes les illusions de l’amour se touchent ; que la plus douce, la plus nécessaire, la plus sacrée est celle qui nous fait croire qu’il n’existe personne pour nous hors du cercle enchanté dont la passion nous environne ? Vous avez remarqué cette femme ; et moi... je ne voyais que vous ! » Constance de Salm a aussi imaginé « Vingt-quatre heures d'une femme sensible » comme une leçon adressée aux femmes, souhaitant leur montrer ainsi à quel point les sentiments des femmes peuvent les égarer. À sa sortie, « Vingt-quatre heures d'une femme sensible » a reçu un bel accueil. Mais la postérité n'a pas reconnu Constance de Salm à la juste valeur qu'elle recevait de son temps. C'est à la fin du 20e siècle que Constance de Salm a été redécouverte par des féministes aux États-Unis. Puis c'est en particulier la réédition de « Vingt-quatre heures d'une femme sensible », en 2007, qui a permis de la rédécouvrir en France. Les références : - « Vingt-quatre heures d'une femme sensible », de Constance de Salm, 2012, aux éditions Libretto, avec la postface de Claude Schopp - « Vingt-quatre heures d'une femme sensible », de Constance de Salm, sur Wikisource - Œuvres complètes de Constance de Salm sur Gallica - « Constance de Salm », Dictionnaire des féministes : France XVIIIe-XXIe siècle, dirigé par Christine Bard et Sylvie Chaperon, 2017, PUF, pp. 1294-1295 - « Constance-Marie de Théis », notice d'Héloïse Morel, 2017, sur le site du Siéfar (Société internationale pour l'étude des femmes de l'Ancien régime) - « La Querelle des femmes ou n'en parlons plus », Éliane Viennot, 2019, éditions iXe Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait de Constance de Salm par Jean-Baptiste François Desoria (Wikimedia Commons) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « black screen » de LCD Soundsystem
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Du côté des autrices : Germaine de Staël
Parmi celles qui ont été admirées de leur temps et dont le nom ne résonne pas encore assez, on compte Germaine de Staël, également connue simplement sous le nom de « Madame de Staël ». Germaine de Staël, c'est « la femme la plus extraordinaire qu'on vît jamais », selon Stendhal lui-même, qui l'admet pourtant du bout des lèvres, voyant en elle une concurrente. Germaine de Staël est née en 1766 à Paris, d'un couple de Suisses protestants très influents dans la vie politique française. Son père, Jacques Necker, est ministre des finances sous Louis XVI. Germaine de Staël est une érudite, une touche-à-tout, capable d'écrire aussi bien des essais sur la théorie littéraire ou l'histoire, des traités philosophiques ou politiques, que des romans ou des pièces de théâtre. Pour Germaine de Staël, la littérature est puissante et a un vrai rôle à jouer dans la société. Germaine de Staël est farouchement engagée en faveur de la Révolution, comme elle le rapporte dans certains de ses écrits. Elle fonde un salon, qui devient un centre réunissant des opposants à Napoléon Bonaparte. Celui-ci la prend en grippe. Il la force à l'exil. Germaine de Staël se réfugie alors en Suisse, où elle exporte son salon qui est fréquenté par toute l'intelligentsia européenne. Pendant ces années d'exil, Germaine de Staël, curieuse et cosmopolite, fait l'expérience du voyage comme nombre de ses contemporains. Il faut, dit-elle, avoir « l'esprit européen ». Elle se rend notamment en Allemagne et ouvre la voie au romantisme en France en faisant découvrir grâce à un ouvrage les auteurs qu'elle y a rencontrés ou découverts. Elle se rend aussi en Italie. Un voyage qui façonne son roman « Corinne ou l'Italie », publié en 1807. Corinne, l'héroïne du roman, est une intellectuelle et une artiste complète, suscitant l'admiration de tous et toutes. Elle a fui l'Angleterre, où elle avait été forcée de déménager, ne supportant pas que les femmes y soient perpétuellement soumises à une figure masculine. Elle se reconstruit dans son Italie natale, où elle s'adonne et où elle excelle dans tous les arts. Indépendante d'esprit, elle n'en est pas moins sensible. Notamment aux charmes de Lord Oswald Nelvil, un Britannique auquel elle fait visiter son pays. Lui est étourdi par sa grâce et son talent, comme dans cet extrait, où l'art de la danse s'incarne chez Corinne. EXTRAIT « Corinne, en dansant, faisait passer dans l’âme des spectateurs ce qu’elle éprouvait, comme si elle avait improvisé, comme si elle avait joué de la lyre ou dessiné quelques figures ; tout était langage pour elle : les musiciens, en la regardant, s’animaient à mieux faire sentir le génie de leur art ; et je ne sais quelle joie passionnée, quelle sensibilité d’imagination électrisait à la fois tous les témoins de cette danse magique, et les transportait dans une existence idéale où l’on rêve un bonheur qui n’est pas de ce monde. Il y a un moment dans cette danse napolitaine où la femme se met à genoux, tandis que l’homme tourne autour d’elle, non en maître, mais en vainqueur. Quel était dans ce moment le charme et la dignité de Corinne ! comme à genoux elle était souveraine ! Et quand elle se releva, en faisant retentir le son de son instrument, de sa cymbale aérienne, elle semblait animée par un enthousiasme de vie, de jeunesse et de beauté, qui devait persuader qu’elle n’avait besoin de personne pour être heureuse. Hélas ! il n’en était pas ainsi ; mais Oswald le craignait, et soupirait en admirant Corinne, comme si chacun de ses succès l’eût séparée de lui ! À la fin de la danse, l’homme se jette à genoux à son tour, et c’est la femme qui danse autour de lui. Corinne en cet instant se surpassa, s’il était possible encore ; sa course était si légère en parcourant deux ou trois fois le même cercle, que ses pieds chaussés en brodequins volaient sur le plancher avec la rapidité de l’éclair ; et quand elle éleva l’une de ses mains en agitant son tambour de basque, et que de l’autre elle fit signe au prince d’Amalfi de se relever, tous les hommes étaient tentés de se mettre à genoux comme lui, tous, excepté lord Nelvil qui se retira de quelques pas en arrière, et le comte d’Erfeuil qui fit quelques pas en avant, pour complimenter Corinne. » Comme l'ont souligné certains de ses amis ou détracteurs, Corinne, c'était en quelque sorte Germaine de Staël elle-même, ou du moins une vision fantasmée d'elle-même. Benjamin Constant, l'un de ses amants, disait d'elle qu'elle était «Un être à part, un être supérieur tel qu'il s'en rencontre peut-être un par siècle». Même Napoléon a confessé : «Il faut reconnaître après tout que c'est une femme d'un très grand talent ; elle restera ». Et pourtant, Germaine de Staël n'a pas connu la postérité de Stendhal par exemple. Il était donc temps de la découvrir ou de la redécouvrir. Les références : - « Corinne ou l'Italie », sur Gallica Les Essentiels Littérature - Une analyse de l'incipit de Corinne de Mme de Staël, « De Delphine à Corinne le pacte romanesque chez Mme de Staël », in Studi Francesi, 131, 2000. - La vie de Germaine de Staël, 22 avril 1766-14 juillet 1817, sur le site Société des études staéliennes Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait de Germaine de Staël par Vladimir Borovikovski (Wikimedia Commons) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « Saltarello » de Dead Can Dance
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Du côté des autrices : Françoise de Graffigny
Depuis la dernière fois, une femme a reçu le prix Nobel de Littérature. Il s'agissait seulement de la quinzième, sur les 116 prix remis depuis 1901. La récompense est revenue à l'autrice polonaise Olga Tokarczuk, saluée par l'académie suédoise pour son « imagination narrative qui, avec une passion encyclopédique, représente le franchissement des frontières ». Des frontières, il faut en franchir justement, lorsqu'on est une femme et que l'on désire écrire et être reconnue pour ce talent. L'autrice de cet épisode, Françoise de Graffigny, le sait bien. Françoise de Graffigny, née en 1695 à Nancy, a franchi de son vivant des frontières délimitées pour les femmes, puis elle en a fait franchir à l'héroïne de son principal roman : Zilia, dans « Lettres d'une péruvienne ». Françoise de Graffigny s'est d'abord émancipée d'un père, puis d'un mari violent. Elle s'est ensuite réfugié dans le château de la mathématicienne Émilie du Châtelet, qui fréquente alors Voltaire. Puis elle s'est échappée jusqu'à Paris. Là, elle y a franchit d'autres frontières. Elle a fréquenté le salon littéraire de Jeanne-Françoise Quinault, dit le « salon du bout du banc ». Elle a entretenu une abondante correspondance, qui a d'ailleurs permis à de nombreuses personnes de mieux décrypter l'époque. Et surtout, elle s'est initiée à la mode du roman épistolaire, mis au goût du jour par Montesquieu avec ses « Lettres persanes » en 1721. Françoise de Graffigny n'a pas regardé vers la Perse et le Moyen-Orient comme nombre de ses congénères, mais vers l'Amérique du Sud. En 1747, elle publie « Lettres d'une péruvienne ». Elle y met en scène Zilia, une princesse inca enlevée par les colons espagnols, prise ensuite sous l'aile d'un Français. L'occasion d'élaborer une critique sociale de l'époque à travers les yeux d'une étrangère obligée de découvrir les us et coutumes françaises. Un peu comme « L'Ingénu » de Voltaire… « Lettres d'une péruvienne » rencontre un succès total : il devient l'un des romans les plus lus de l'époque, il est traduit dans plusieurs langues, il est réédité plus de 100 fois… Il est même mis à l'Index, ce registre des ouvrages prohibés, ce qui ne fait que déployer davantage d'attrait pour l'ouvrage. Et pourtant, pourtant, malgré toutes ces qualités, l’œuvre finit par être oubliée, ainsi que Françoise de Graffigny, avant que des féministes ne la redécouvrent dans les années 1970. Je vais vous en lire un extrait. C'est un passage où Zilia décrit à son amant Aza son incompréhension du traitement des femmes dans un pays tel que la France. Sa subjectivité fait prendre conscience de l'absurdité de cette situation. EXTRAIT « Il n’est pas surprenant, mon cher Aza, que l’inconséquence soit une suite du caractère léger des Français ; mais je ne puis assez m’étonner de ce qu’avec autant et plus de lumières qu’aucune autre nation, ils semblent ne pas apercevoir les contradictions choquantes que les étrangers remarquent en eux dès la première vue. Parmi le grand nombre de celles qui me frappent tous les jours, je n’en vois point de plus déshonorante pour leur esprit, que leur façon de penser sur les femmes. Ils les respectent, mon cher Aza, et en même-temps ils les méprisent avec un égal excès. La première loi de leur politesse, ou si tu veux de leur vertu (car je ne leur en connais point d’autre) regarde les femmes. L’homme du plus haut rang doit des égards à celle de la plus vile condition. Il se couvrirait de honte et de ce qu’on appelle ridicule, s’il lui faisait quelque insulte personnelle. Et cependant, l’homme le moins considérable, le moins estimé, peut tromper, trahir une femme de mérite, noircir sa réputation par des calomnies, sans craindre ni blâme ni punition. [...] Ici, loin de compatir à la faiblesse des femmes. Celles du peuple, accablées de travail, n’en sont soulagées ni par les lois ni par leurs maris ; celles d’un rang plus élevé, jouets de la séduction ou de la méchanceté des hommes, n’ont pour se dédommager de leurs perfidies, que les dehors d’un respect purement imaginaire, toujours suivi de la plus mordante satire. [...] L’impudence et l’effronterie dominent entièrement les jeunes hommes, surtout quand ils ne risquent rien. Le motif de leur conduite avec les femmes n'a pas besoin d'autres éclaircissements : mais je ne vois pas encore le fondement du mépris intérieur que je remarque pour elles, presque dans tous les esprits ; je ferai mes efforts pour le découvrir ; mon propre intérêt m'y engage. O mon cher Aza ! quelle serait ma douleur, si à ton arrivée on te parlait de moi comme j'entends parler des autres. » À l'instar de ce que ressent son héroïne, Françoise de Graffigny a aussi connu le mépris… après la gloire. Elle aurait pu être aussi connue que Monstesquieu ou Voltaire, mais elle est tombée dans l'oubli, connaissant un sort similaire à quantité d'autres autrices. Les références : - « De Minette à Théonise : Françoise de Graffigny et l’éducation féminine », article de Charlotte Simonin, dans « Femmes éducatrices au siècle des Lumières», dirigé par Isabelle Brouard-Arends et Marie-Emmanuelle Plagnol-Diéval, Presses universitaires de Rennes, 2007 - « D'intéressantes "retrouvailles" : la seconde carrière de trois femmes de lettres », article de Marie-Laure Girou Swiderski, dans la revue Dix-huitième siècle 2014/1 (n° 46) Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait de Françoise de Graffigny par Victorine-Angélique-Amélie Rumilly (Wikimedia Commons) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « Hiroshima Mon Amour » d'Ultravox ; « The Lake » DeYarmond Edison
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Du côté des autrices : George Sand
Citez-moi vos 10 auteurs célèbres préférés. C’est bon, vous les avez ? Je suis sûre que parmi eux se sont glissés Marcel Proust, Albert Camus ou Charles Baudelaire. Mais avez-vous pensé à y intégrer une femme ? Ma question était peut-être mal posée aussi... Si je vous demande : citez-moi vos 10 auteurs et autrices célèbres préféré·es. Là, déjà, je suis sûre que vous allez faire un effort et que vont tout à coup surgir - sans doute, peut-être - Marguerite Duras, Simone de Beauvoir ou Françoise Sagan. Ça fait encore grincer les oreilles de certains et certaines, le terme « autrice », mais déjà, ça va mieux quand on le convoque. Ça déploie la mémoire et l’imagination. Je peux vous garantir qu’on s’y habitue et qu’on y prend goût. Mais je ne vous en veux pas tellement si vous avez cité Proust, Camus ou Baudelaire… Car c’est non seulement parce qu’ils ont écrit des choses fabuleuses - et que leur genre est adapté au mot « auteur » -, mais c’est aussi parce que vous avez entendu parlé d’eux dès les bancs de l’école. Or, l’école enseigne toujours une culture littéraire légitime largement dominée par les hommes. Pas étonnant que des lycéens et lycéennes aient encore découvert, atteré·es, qu’Andrée Chédid était une femme lors des épreuves du bac cette année… Alors dans ce format court, on va leur faire de la place, aux autrices. Pour mieux découvrir la valeur de leurs écrits. Pour dépoussiérer celles qui ont été invisibilisées au cours des années. On va se concentrer sur des autrices francophones - parce qu’il y a déjà largement de quoi faire - et vous pourrez retrouver toutes ces chroniques et les références sur le site de l’association Le Deuxième texte, qui met en valeur les œuvres des femmes de lettre d’expression française. Et si Proust faisait partie des privilégiés, qu’à cela ne tienne. L’auteur de « Du côté de chez Swann » nous as inspiré « Du côté des autrices ». Et comme dans « Du côté de chez Swann », le narrateur se remémore, tendrement , la lecture que lui faisait sa mère le soir de « François le champi » écrit par George Sand, on va se pencher un peu sur le cas de cette autrice du 19e siècle. Certes, George Sand n’est pas la plus inconnue des autrices. Mais comme tant d’autres - avant tant d’autres même - Aurore Dupin, de son vrai nom, a adopté un pseudonyme masculin pour mieux faire accepter ses écrits. George Sand n’est pas la plus inconnue des autrices, car elle a longtemps été incontournable dans les programmes scolaires, avant que sa présence s’estompe à partir des années 70. Qui a lu désormais « La Mare au diable » ou « François le Champi » ? George Sand n’est pas la plus inconnue des autrices, mais désormais, c’est son personnage qui est plus classique que son œuvre dans les ouvrages scolaires. Elle est reconnue pour ses amitiés ou ses amours avec Musset ou Chopin. Pour son engagement politique et féministe. Ou pour avoir porté des pantalons. Alors revenons à ses écrits et en particulier à « Indiana ». « Indiana », c’est le premier roman qu’elle a écrit seule, publié en 1832. Un ouvrage audacieux, qui préfigure « Madame Bovary », et pourtant celui dont on se souvient le moins. Femme de 19 ans mariée à un vieux colonel, Indiana s’ennuie terriblement dans ce mariage et va peu à peu laisser tomber sa timidité et son respect impassible pour son mari, pour se révéler bien plus indépendante d’esprit. Je vais vous en lire un extrait. C’est un passage où George Sand ne se concentre pas sur Indiana, mais sur Raymon, celui qui essaye de la séduire et qui la charme. Dans ce passage, on sent poindre chez George Sand la critique des personnages comme Raymon, si assuré d’eux-mêmes et amoureux de l’état amoureux, au point d’oublier la femme vers laquelle ils se tournent. J’ai aimé cet extrait car George Sand analyse finement la séduction et le pouvoir de l’éloquence. EXTRAIT « Raymon s’assit auprès d’elle. Il avait cette aisance que donne une certaine expérience du cœur ; c’est la violence de nos désirs, la précipitation de notre amour qui nous rend stupides auprès des femmes. L’homme qui a un peu usé ses émotions est plus pressé de plaire que d’aimer. Cependant M. de Ramière se sentait plus profondément ému auprès de cette femme simple et neuve qu’il ne l’avait encore été. Peut-être devait-il cette rapide impression au souvenir de la nuit qu’il avait passée chez elle ; ce qu’il y a de certain, c’est qu’en lui parlant avec vivacité, son cœur ne trahissait pas sa bouche. Mais l’habitude acquise auprès des autres donnait à ses paroles cette puissance de conviction à laquelle l’ignorante Indiana s’abandonnait, sans comprendre que tout cela n’avait pas été inventé pour elle. En général, et les femmes le savent bien, un homme qui parle d’amour avec esprit est médiocrement amoureux. Raymon était une exception ; il exprimait la passion avec art, et il la ressentait avec chaleur. Seulement, ce n’était pas la passion qui le rendait éloquent, c’était l’éloquence qui le rendait passionné. Il se sentait du goût pour une femme, et devenait éloquent pour la séduire et amoureux d’elle en la séduisant. C’était du sentiment comme en font les avocats et les prédicateurs, qui pleurent à chaudes larmes dès qu’ils suent à grosses gouttes. Il rencontrait des femmes assez fines pour se méfier de ces chaleureuses improvisations ; mais Raymon avait fait par amour ce qu’on appelle des folies : il avait enlevé une jeune personne bien née ; il avait compromis des femmes établies très-haut ; il avait eu trois duels éclatants ; il avait laissé voir à tout un rout, à toute une salle de spectacle, le désordre de son cœur et le délire de ses pensées. Un homme qui fait tout cela sans craindre d’être ridicule ou maudit, et qui réussit à n’être ni l’un ni l’autre, est hors de toute atteinte ; il peut tout risquer et tout espérer. » Les références : Illustrations : Glwadys Le Roy (Instagram) + Portrait de George Sand par Thomas Couture (Wikimedia Commons) Extraits musicaux : « Junk City » de Gold Panda pour le jingle ; « The Barrel » d'Aldous Harding
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